mardi 22 juin 2021

Porc, ça se dit comment en chinois ?

 



        Porc, ça se dit comment en chinois ? Ça se dit zhû. L'animal, la viande et le qualificatif, c'est le même mot ? Oui, il n'y a qu'un seul porc en Chine, sourit l'homme. Et comment ça s'écrit ? Les sourcils se lèvent, vous voulez l'écrire ? Oui, c'est pour ma compagne, elle n'en mange pas, que je puisse le reconnaître sur un menu au restaurant ou le mettre sur papier. La surprise redouble, vous allez en Chine sans interprète, sans guide ? Vous rejoignez un groupe organisé, alors ? Non, on y va comme ça. Le sourire de notre voisin se fige, vous savez, très peu de gens parlent anglais en Chine, dans les provinces, personne ne le pratique, vous risquez de rencontrer quelques problèmes ; Assia hausse les épaules et sourit en retour, elle est au courant, son prof d'arabe littéraire, qui discutait avec un prof de chinois sur le parvis de l'Institut du Monde Arabe, l'a mise en garde, j'ai parlé de vous à mon collègue, je lui ai dit que vous partiez en Chine sans interprète, il a éclaté de rire, pour lui c'est impossible, bon voyage quand même ! Assia et moi n'en sommes plus à une insouciance près, depuis trois semaines je me suis mis à écrire le chinois, recopiant à la plume nombre d'idéogrammes – oubliant toutefois, est-ce bête, celui désignant le porc. Je n'ai pas le don des langues, hélas, je ne parlerai sans doute jamais le chinois, mais le souvenir du pinceau exercé assidûment dans ma jeunesse me fait l'écrire avec application, ce qui pourra se révéler utile pour demander un renseignement, réserver un billet de train, un billet d'avion ou une nuit d'hôtel. Je me suis également plongé avec passion dans la lecture de Lao-tseu, de Tchouang-tseu et de Confucius, dont j'ai pris avec moi le Tao-tö King, Les Aphorismes et paraboles et Les Entretiens, afin de parfaire ma connaissance du taoïsme au lieu de sa naissance. Ce n'est pas un exercice obligé, mais il peut être utile de découvrir une œuvre ou un auteur en les replaçant in situ, comme je m'y évertue, en lisant par exemple Platon en Grèce, Homère en Corse – Grèce préservée –, Dante en Italie, Cervantes en Espagne, avec Baltasar Gracian, Spinoza à Amsterdam, avec Descartes, Thomas Bernhart en Allemagne, mais pas Nietzsche ! – à lire dans le Sud de la France, en Italie, en bord d'Adriatique, en Croatie –, mais aussi Bouddha en Thaïlande, le Coran au Maroc, le Mahabharata et le Ramayana en Inde, et enfin la Bible, partout, tout le temps. 

    Au printemps, nous étions à Naples, j'avais apporté avec moi les Évangiles, que je lisais à l'aube pendant qu'Assia dormait encore, ou le soir après lui avoir fait l'amour, avant de m'endormir, revoyant les peintures admirées la journée dans les musées, plus spécialement au Capodimonte où j'ai eu le plus grand choc pictural de ma vie, face à la Flagellation du Christ du Caravage, qui m'a livré rien de moins que la révélation, en chair et en os, du don de Dieu. Je n'ai pas oublié aussi, cette fois, de prendre quelques numéros de ma revue, dont le dernier vient de paraître ; l'idée de la déposer en Chine, ici ou là, dans un bar, un salon ou une bibliothèque, m'amuse, comme je le fais en France quand je récupère les premiers exemplaires fraîchement sortis de l'imprimerie, sentant encore l'encre ; je la pose sur le comptoir d'un café, sur une table en salle, au bar d'un TGV, dans la salle d'embarquement d'un aéroport, sur un banc dans un jardin public ; je l'offre aux SDF qui en veulent bien. La gratuité de la chose me plaît, davantage que les chiffres de ventes de la vingtaine de librairies qui nous distribuent à Paris. J'aime à voir les personnes la regarder, l'ouvrir pour la feuilleter, remarquer sur quelles pages elles s'arrêtent ; ma plus grande satisfaction est évidemment quand elles la prennent, sans demander si elle est à quelqu'un, pour l'emporter avec elles, un peu comme Bordeaux Le Roux, alias Ignoble de l’Aïoli – écrivant maintenant pour nous – qui n'est jamais si content que lorsqu'il apprend par les libraires de Parallèles ou du Regard Moderne que des exemplaires de son dernier livre ont été volés. 




Extrait de Pars loin l'aventure est infinie
de Frédéric Gournay