mercredi 24 juin 2015

Sémantique de l'énoOorme


     À la télé, au boulot, entre amis, on ne dit plus « c’est très bien », « c’est très bon » ou « c’est très beau, ça », désormais, on dit : « C’est TénoOorme.  » Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Tentative d’explication socio-psychanalytique non exhaustive et pas très sérieuse.
    Le phénomène est parti de Canal Plus, toujours à la pointe, on le sait, en matière de jeunisme et de branchitude. Sûr d’ailleurs que ce néologisme provenait du milieu de la mode et de la pub – si cher à « l’esprit Canal » – employé inconsidérément qu’il devait être par les jeunes « créatifs » empoudrés et extasiés, à propos de tout et de n’importe quoi (leur salaire, le sexe de leur partenaire, la taille de leur rail de coke.) Et le tic de langage n’a pas tardé à se propager : tout le monde maintenant reproduit ce mouvement de dénégation de la tête avec les sourcils froncés d’incrédulité, accompagnée d'une bouche tordue d’exclamation affirmative qui se veut sans appel : « C’est TénoOorme », que ce soit à propos de la énième publicité de la marque machin, du dernier film de truc, du nouveau livre de bidule, d’un disque, d’un nouveau hamburger, d’un rôt, d’un pet, du fond de son kleenex ou d’un bouton d’acné. Tout désormais est potentiellement « énoOorme. »
Un superlatif pour une mini-pensée
On en conviendra aisément, quand on a dit « C’est TénoOorme », on n’a pas dit grand-chose. Et c’est là la redoutable efficacité de ce superlatif. Expression médiatique s’il en est, « c’est TénoOorme » est le plus sûr moyen de ne pas se faire comprendre et a fortiori de ne pas être contredit. Ce qu’il y a de pratique avec « c’est ténoOorme », c’est qu’on ne sait jamais dans quel registre on se situe ; on ne sait pas si c’est bien, si c’est bon ou si c’est beau. Cela traduit souvent chez celui qui l’emploie un refus de discuter, et même une franche incapacité à oser le moindre jugement personnel. On en reste à la quantité, au mesurable que cela représente dans une perception spectaculaire des choses, avec ses critères d’audience et sa logique comptable. Même si cela signifie littéralement « ce qui sort des bornes habituelles », « C’est TénoOorme » marque en fait la victoire achevée du quantitatif sur le qualitatif en matière de jugement. Les personnes ne parlent plus de ce qu’ils aiment ou non, mais de ce qui va marcher ou pas.
C’est grave, docteur ?
Mais alors ? Ça vient d’où cette compulsion à parler sans cesse de volume ? C’est sexuel ? (la taille !) Un peu trop facile. Phallique ? Oui et non. Plus exactement : anal. Eh oui, l’important dans notre société, c’est ce qu’on produit. Et il faut bien avouer que plus le caca est gros et plus maman est contente. Alors l’extase liée au volume, on la comprend un peu mieux de la part des personnes obsédées par ce que leur demande à longueur de temps leur hiérarchie. Ils finissent par parler de tout « produit » comme de leurs crottes : après le « ça va faire mal », l’enthousiaste « C’est TénoOorme. » Prévoyons donc du papier, ne serait-ce que pour pouvoir à chaque fois leur essuyer la bouche.



 Extrait de Chroniques des années zéro, de Frédéric Gournay
recueil d'articles publiés sur le net, à paraître prochainement 
aux éditions de L'irrémissible
(www.frederic-gournay.com)


mercredi 17 juin 2015






      Il avait son petit bout rouge de chien dans la main. Et comme cela était prescrit sur l’emballage, il s’agitait pendant l’emploi.
La dame n’était pas indignée. Elle était amusée. Il parlait indistinctement. Personne ne leur prêtait aucune attention. Il la suivait. Elle cherchait à s’écarter de lui. Il la collait. Il tremblait et vibrait. Son souffle était court en ce mois de janvier et il était complètement indifférent au froid qu’il faisait. Elle souriait à peine. Elle était ravissante. Entièrement pris par son geste, lui ne prêtait aucune attention à ce qui se passait autour d’eux.
- On pourrait vous voir, vous reconnaître, dit-elle.
- Mais non ! répondit-il.
Son sexe ne changeait plus de taille. Il se crispait dessus. Elle commençait à se sentir angoissé.
- Trou du cul, lui jeta-t-elle.
- Je vous paye si vous voulez, lui répond-t-il. Tout ce que je vous demande, c’est de me branler.
Elle se crispe de plus en plus. Ça l’excite. Il s’accroche à elle. Elle le repousse. Il y a ce tendre petit bout de chair qui dépasse. Elle s’aventure dans une rue déserte.
- Faites ce que vous voulez mais ne m’approchez pas !
Elle veut… Elle le supporte ! Il en jouit presque.
- Vous ne voulez pas me montrez vos fesses ?
- Ici ?!
- Oui, dans un porche.
- Mais vous êtes fou.
- Je ne vous ferai pas de mal.
- Laissez-moi tranquille.
Il sort ses bourses. Elle ne le regarde pas. Il se met devant elle et marche à reculons. Sa main à elle serre son sexe. Elle fait glisser de haut en bas son prépuce. Cela va très vite. Deux passants arrivent. Il se reboutonne discrètement.
Comme si lui parlait de la pluie et du beau temps, il lui demande :
- Vous voulez bien me pisser dessus ?
Elle rit.
- Votre misère sexuelle ne m’intéresse pas. Quand j’aurai envie de vivre une aventure, ce n’est en tout cas pas vous que je viendrai chercher.
Il ouvre sa braguette, ressort son sexe.
- Cela vous dérange-t-il si je me branle à côté de vous ?
- Ce n’est pas très appétissant.
- Et si je jouissais sur vous ?
- Ça, je vous le déconseille !
- Vous voulez bien me finir ?
- Ce que vous êtes casse-pied…

    Ils sont arrivés sur une petite place où il y a des gens et il a juste le temps de remonter sa tirette. Elle entre dans un magasin. Tête basse, à présent rouge de honte, il s’en va. Il se sent malheureux. Il pénètre dans un café. Une jeune fille a une robe courte, il se penche pour regarder ses cuisses, elle ne lui prête aucune attention et continue à plaisanter avec ses amis. Le garçon vient prendre sa commande. Il lui demande un grand crème. 



                                                                             Yves Tenret


mercredi 10 juin 2015

Le mal-aimant - Troisième extrait



    Les murs vibrent, les fenêtres tremblent, Estelle me crie de mettre plus fort, vas-y on est le 31, on s’en fout des voisins ! Au milieu de la pièce, elle danse comme les filles des clips de ragga, épaules en arrière, torse bombé, cuisses écartées et zone pelvienne en avant dessinant des huit hypnotiques, la tête haute, l’expression altière, détachée du reste par un cou tenu toujours droit ; ce n’est pas du peep-show, plutôt une danse du ventre des îles, ou du flamenco antillais sur de la jungle poussée à fond. Elle refuse le verre de champagne que je lui tends, me désigne le punch trop fort que je lui ai préparé avant le repas et qu’elle n’a pas fini, j’ai pas besoin de ça pour m’éclater. Moi si, je vide la coupe à sa place et à sa santé, puis le punch, me colle à elle, essaye de suivre les ondulations de son bassin. Elle me félicite en créole, vas-y timal, bougé é bougé, si ça ne tenait qu’à moi on passerait le reste de la soirée comme ça, sans voir personne, elle continuerait de danser et moi de boire, elle resterait à dormir et je pourrais plonger entre ses cuisses sans qu’elle puisse vraiment dire non, mais Estelle tient absolument à sortir ce soir, à aller à Bastille ou aux Champs-Élysées, à voir du monde. J’ai toujours détesté les Premiers de l'an, c’est comme sortir le samedi soir, je laisse ça aux provinciaux et aux banlieusards, aux personnes qui travaillent. Il m’est arrivé plusieurs fois de passer le réveillon seul, comme pas mal de samedis soirs, à me remettre des excès de la semaine, et ce soir j’en ferais bien autant avec Estelle. Il est bientôt minuit, elle me presse, on va rater le feu d’artifice, t’es sûr que y’en a un ? moi j’ai lu ça nulle part, la tour Eiffel illuminée et la grande roue, ouais ouais, je prends une bouteille ? t’as pas assez bu comme ça ? Dans l’ascenseur je l’embrasse dans le cou, lui passe une main sur les fesses, elle n’apprécie qu’à moitié, et Jade, qu’est-ce qu’elle va penser de tout ça ? mais c’est fini avec Jade, tu m’avais dit que t’étais encore sorti avec elle l’autre soir, c’était en boîte, ça compte pas. Sur le trottoir, je cherche des yeux un épicier ouvert pour pouvoir acheter à boire, Estelle ne me laisse pas le temps de sortir l'argent, allez viens, j’entends le métro qui arrive, on va le rater. 
Dans la rame, debout devant nous un couple s’embrasse, la fille, la main sur la nuque de son mec, me jette par-dessus l'épaule des regards que je n’arrive pas à interpréter, l’effet ricochet ? le crâne nouvellement rasé ? une marque sur le front ? Je mets un temps à décrocher mon regard du sien, m’efforce de me tourner vers Estelle quand je lui parle, et toi t’en es où avec ce mec rencontré en salle de sport ? coucher pour coucher ça ne m’intéresse pas, moi non plus, ah bon, on dirait pas, je cherche c’est tout, comme tout le monde, et bien moi je ne trouve pas. Estelle est partie dans ses pensées, quand c’est comme ça, c’est comme si je n’existais plus, comme si plus rien n’existait autour d’elle, je pourrais faire le pitre, tomber raide mort à ses pieds, elle le remarquerait à peine, il faut que je me mette en face d’elle et que je l’appelle Estelle pour qu’elle sorte d’elle-même et me réponde sèchement qu’est-ce qu’il y a Frédéric, sachant qu’on ne s’appelle jamais ainsi. Depuis qu’on n’est plus ensemble on a bien arrêté les diminutifs affectueux et autres sobriquets amoureux, mais on n’arrive toujours pas à s’appeler par le prénom, comme de vieux amis, en fait la plupart du temps, on ne s’appelle pas, c’est le tu directement, sans dénomination particulière. J’observe pendant ce temps-là la fille avec son mec, elle l’embrasse avec fougue, relève la tête vers moi, soutient mon regard. Je ne sais pas ce qu’elle me veut, ça doit l’exciter d’embrasser un mec en en allumant un autre, lui de dos ne peut rien deviner du petit manège, s’il était complice il se retournerait de temps à autre, elle prend bien soin à ce qu’il ne change pas de position, elle lui tient littéralement la tête. Qu’est-ce qu’elle s’imagine ? que je vais aller la brancher pour lui proposer un plan à trois, ou lui glisser discrètement mon numéro de téléphone dans la poche ? Elle sait que je suis accompagné, qu’il y a peu de chance que je bouge, elle se sent protégée par son mec, à l’abri du danger ; c’est comme ces filles aperçues sur le quai d’en face, avec lesquelles vous sentez qu’il se passe quelque chose, dans l’échange furtif de regards ou dans l’obstination trop marquée à ne pas vouloir vous voir, et qui une fois le métro arrivé lâche tout derrière la vitre, le grand sourire avec les yeux plongés droits dans les vôtres. 
Estelle reprend à voix haute le cours de son monologue intérieur, en fait je te préférais vraiment les cheveux longs, pas moi, signe de vanité, il  faut absolument que tu voies Fight Club, c’est bien ? on ira le voir ensemble, les singes de l’espace, toi qu’es lancée dans la muscu, ça va te parler, j’en fais pas tant que ça, tu déconnes, t’as un cul en acier, des abdos plaquette de chocolat et tes épaules seront bientôt plus balaises que les miennes, écoute Frédéric, chacun son propre rapport au corps, moi en ce moment c’est la diététique et la salle de sport, ça vaut bien l’alcool et les filles, non ? Elle referme la bouche sur une expression de mépris, son écoute Frédéric résonne à mes oreilles, cette fois-ci elle y a ajouté un ton de maîtresse d’école exaspérée ou de mère courroucée que je ne supporte pas, je pourrais lui arracher les lèvres de mes mains pour ces deux mots qui me renvoient d’un seul coup à ce qui nous sépare. À croire que l’on n’a jamais été ensemble, ou qu’intimes nous n’ayons fait que nous détester. Je ne me suis jamais battu avec Estelle, ni avec aucune autre fille d’ailleurs, je ne vais pas commencer pour la nouvelle année, vu la musculature qu'elle a en ce moment, je ne suis même pas sûr d’avoir le dessus. Je suis toujours dans ma colère froide et Estelle dans sa bouderie dédaigneuse quand je vois le couple quitter la rame, la fille a l’audace de se retourner et de me sourire avant de disparaître sous le bras de son mec ; je n’en reviens pas, elle n’a pas remarqué que je venais de me prendre le chou avec Estelle, à moins que ce ne soit ça qui l’ait fait sourire si largement. On va pas se faire la gueule toute la soirée, je fais pas la gueule, bon d’accord, on descend à la prochaine, on fera le reste à pied. 
Une fois dehors c’est la cohue des corps, rue de Rivoli il y a foule pour voir la grande roue et la tour Eiffel illuminée avec le compte à rebours géant, on se tient par la main pour ne pas se perdre dans le flot humain aux courants contraires ; certains descendent, d’autres remontent, beaucoup veulent traverser pour aller aux Jardins des Tuileries. On n’a pas d’heure sur nous, mais on devine qu’il doit être bientôt minuit car tout le monde s’immobilise et regarde vers la tour Eiffel, le décompte des secondes commence à s’élever, en cœur de plus en plus fort, on lève les talons et on tend le cou pour tenter de voir quelque chose, on entrevoit le compteur qui se bloque au chiffre quatre, puis s’éteint. Un silence immense se fait, personne ne comprend ce qui se passe, chacun se tourne vers son voisin incrédule, des rires railleurs, dont les nôtres, commencent à fuser, on a volé le temps ! au voleur, rendez-le-nous ; un mec devant nous, il paraît que cette année le Nouvel An sera en retard, une petite fille à ses côtés, alors elle va pas décoller ce soir la tour Eiffel ? Le décompte du temps officiel qui s’enraille, si c’est pas significatif de notre époque ça. Des bouchons de champagne sautent, donnant le vrai signal du passage du temps, les personnes crient, se prennent dans les bras. Je me tourne vers Estelle pour l’embrasser sur la bouche, ses lèvres s’entrouvrent à peine, bonne année, à toi aussi, la tour Eiffel se rallume avec quelques secondes de retard en scintillant de mille feux argentés, les premières explosions de couleur retentissent dans le ciel sans nuit de Paris, des klaxons et des cornes de brume se mêlent aux détonations.


Extrait du Mal-aimant, roman de Frédéric Gournay
paru aux éditions de L'irrémissible

mercredi 3 juin 2015

Journal d'Yves Tenret - Cinquième partie





Février 1984


        Ma mère m’attendait le jour précédent. Je dis Non à sa procuration. En dix minutes, elle me jette. Elle est vraiment au centre de ma pulsion à tout repenser, à mon désir de renaissance. Je ne connais pas la vengeance.
   L’Abdominal me décrit comme étant sans humour. Puis rien. Au physique, passablement malade. Il était maussade parce qu’on venait de braquer son appartement. De tout cela, je n’en pense rien. Les vitrines m’attirent. Loïc dit que je n’ai pas envie d’écrire. Mon foie… J’ai en tout cas envie de me faire branler mais malheureusement même cela, ça doit se mériter.
   Sera-ce un jour un bide et ces trois poils, un souvenir sublimé ?
   Arracher tout avec la racine et devenir ultimement fin, élégant et subtil.
  L’orientation existentielle de Pajak l’oblige toujours à penser les autres en termes de caractère. Plutôt que d’accepter de titiller le détail, il faut attaquer l’orientation générale, refuser fermement ce type de débat qui ne renvoie qu’à des angoisses petites-bourgeoises – tout cela accentuant encore plus l’aspect non-réalisé de l’époque dite du « Loto ». J’aime penser. Le rêve m’épuise, m’avilit, élève mes impuissances à leur propre auto-culte. Toute cette sensibilité dont je me gorge tant n’est qu’économie, mensonge, raccourci hasardeux. N’est-ce pas Mesdames, que j’ai raison ? Si je ne veux plus parler des gens en leur absence, ce n’est pas pour une quelconque raison morale, c’est parce que les gens ne m’intéressent pas. Ce qui m’intéresse, c’est notre travail commun, nos travaux passés, nos activités présentes, nos projets. N’empêche qui en a ? Faut vraiment se les fader ! C'est dur !
    Ma conception des rapports humains n’est en rien utilitariste. Néanmoins, ceci dit, elle n’est pas assez pratique !
    Il me faut renouer avec l’enfance, avec le temps où on ne disait jamais Tu es qui toi ?  mais toujours  Qu’est-ce qu’on fait ? 

      Ma petite Nora. Ô ma compassion ! Et ils t’ont insultée !
- Mais enfin, je me sens mieux quand je pèse cinq kilos de moins disais-tu.
Une grande pècheresse…
- Je ne mets pas le linge à tremper, ce sont les gens sales qui font ça, disais-tu.
    L’éternel vivace leur pisse à la raie. Ton petit cul est serein. Nous nous sommes tant frottés !

    Au départ, elle pose l’hypothèse de l’enfant trouvé. Nous étions à Genève, tes longues jambes effilées. Difficiles besoins et autres tartuferies. Embrasse-moi ! Encore ! Un mot griffonné sur un ticket de métro. C’est fait, c’est fait et aujourd’hui, elles lavent sans bouillir. Rohypnol. Un polaroïd du personnage. L’exposé ciblé de la situation. Perd en sa morveuse brutalité. Il se raisonne, elle a le vertige, il s’occupe. Elle est performante, perforée et perforante. Grande pècheresse ! C’est trop donneur…
- Je ne mets jamais le linge à tremper, disait-elle.
Ma tendresse est terreur. Il n’a pas encore 16 ans qu’il jacte déjà sentencieusement. Il doit se raccourcir. Échecs sur échecs, exaltation morbide - tant de rendez-vous manqués. Mycose ! Décrire, c’est l’usine. Elle lave sa culotte.
- Quand tu n’es pas là, tu me manques, dit-elle.

    « La surface des choses fait jouir, leur intériorité fait vivre ». Piet Mondrian
Comme la théorie de la relativité, le néoplasticisme n’avait pas pour objet les formes et les corps, mais avec les forces, les énergies et les relations.
    Le gros plan élimine les données pittoresques.

   Capacité peu commune à répéter sans cesse les mêmes expériences, à garder intact sa capacité de déception. Il met tous ses enjeux dans le corps à corps. Il s’agite. Il veut repeindre sa chambre en rouge. Il est très nerveux, émotif, frileux.
    Je dis à Loïc :
- La différence entre nous, c’est que nous rencontrons de nouvelles personnes, c’est que tu te demandes ce qu’elles pensent de toi et moi ce que je pense d’elles…
   Avant de partir, elle me frappe violemment sur la tête. Elle cherche à dévaster la chambre. Elle hurle que personne ne s’occupe jamais d’elle. J’essaye de la calmer. Elle hurle que je lui ai cassé le pouce et qu’elle va se rendre volontairement à Sainte Anne pour se faire interner. On se cogne dessus…
    Pour ce qui est de la piller, je la pille là. Je me noie dans toutes ces humeurs et, fragile, je suis à la merci du premier connard venu. Qu’elle me fasse ce qu’elle veut, tout, mais pas qu’elle me fasse la gueule.
    Elle délire et je me sens mal. C’est précis, sec, réaliste. Je reste assis, pris au piège, congelé. Drôle de livraison. Je reste soumis. C’est intimidation sur intimidation et glapissements constants. Voilà donc que pour pisser, je m’accroupis.

     Il est des matins où tout semble possible.
    Comment est-ce possible ? Je pourrais, sans hésiter une seconde, l’étrangler pour qu’elle soit enfin à moi et rien qu’à moi.
   Tant d’actions obscènes pour qu’il décharge ! C’est tellement inepte qu’il finit par s’en vouloir.

    Mon sexisme se résume à cet axiome : moins en a, plus on s’y attache.
    L’odeur amère de la désuétude. Inexpressif et avide, je négocie…

   Tension et les couilles mobiles. La mienne impossibilité congénitale d’imaginer le tragique. Jamais désenchanté, juste corporel, affectueux et bête. Elle me pousse sous la porte cochère et s’accroupit, de la main je lui enserre les cheveux. 



                                                                                 Yves Tenret