Cette
histoire je ne l’ai jamais racontée à personne. C’était en
1967, j’étais barman dans une petite rue en face de la Bourse à
Bruxelles. Mes collègues se tapaient qui ils voulaient et moi je n’y
arrivais jamais. J’étais trop mignon, j’avais l’air d’une
fille et ça, avec ces gens-là, ça ne pardonne pas. Si vous saviez
tout ce à quoi j’ai assisté au Baccara : des maquereaux
dansant enlacés, des putes suçant pour rien, une clodo se faisant
lécher par son berger allemand... Gilbert le gérant qui avait un
air veule à la Alain Delon, soupirait quand une gonzesse lui
proposait la botte. Il soupirait !
Avec
ma tronche de bébé, je m’essuyais des tonnes de conseils du soir
au matin. Comment je devais arnaquer, qui je devais arnaquer, comment
ne pas se faire chopper, d’économiser car tout cela ne durerait
pas...
En
général, je finissais mes nuits au Bowling de la place de
Brouckère. Quand elle me dit : « Oui, je veux bien venir
avec toi », c’est donc là que je l’emmenais. J’avais été
le seul à lui parler de la nuit. Faut dire qu’elle faisait dans
les 1,85 m, était franchement maigre, un peu crade, pas peignée,
habillée tout en jeans ce qui n’était pas vraiment le genre de
l’endroit. Je sentais que les autres souriaient dans mon dos mais
je n’en avais rien à foutre. Je lui filais de temps en temps une
Carlsberg en douce, m’intéressait à tout ce qu’elle racontait
et j’essayais d’avoir l’air d’un mec détendu.
En chemin, elle me répéta
plusieurs fois qu’elle avait un truc absolument spécial, tuant,
qui allait me renverser. De quoi s’agissait-il ? Je n’en
avais aucune idée. Avait-elle un tigre tatoué sur les fesses ?
Au Bowling, elle avait dévoré un steak frites et deux parts de
tarte chantilly banane. Après, dans la rue, j’avais essayé de lui
prendre la main mais elle m’avait repoussé. Ce n’était pas une
sentimentale. Juste une paumée qui cherchait un endroit sûr pour
dormir. Chez moi, par contre, sur mon matelas, malgré le froid, elle
s’était laissée déshabiller. Je tremblais, essayant de n’être
pas trop brusque, si maladroit, tout en n’y arrivant pas
réellement. C’est là qu’elle se mit à prendre l’initiative.
Elle me dit de reculer, d’arrêter de la peloter comme un sauvage,
d’attendre, de me contenter de regarder. J’obtempérais et elle
se mit à se caresser doucement. J’étais stupéfait : tant de
bonheur !
Au
bout d’un moment, elle me sortit de ma stupeur en m’interpellant
frénétiquement : « Tu le vois ? Il te plaît ? »
Mon expression ahurie la fit éclater de rire. « Mon clito, tu
ne vois pas comme il est grand ? » Putain, elle avait un
clito géant ! Et elle me bourrait la tête de coups donnés par
ses longues mains osseuses couvertes de bagues en criant :
« Suce ! Suce ! ».
Eh
oui, on n’échappe pas à son destin. Dix ans d’internat passés à
rêver des filles et là…
Yves Tenret