vendredi 31 octobre 2014

Quand j'étais une putain

  

       Elle m'a transpercée. A travers ma gorge, des mots heurtés, l'exultation de la syllabe crachée, son nom honni offert. Elle m'a trahie et elle a suppuré de moi. J'étais encore jeune. Mon amour pour elle bafoué. Jeté dans la boue, à la figure des chiens. Elle a débordé de mes yeux et de mes plaies en fluide misérable pendant que la regardait me tendre son piège. Et je n'ai rien dit : Je ne pouvais rien dire, comprends-tu cela ? On dit que l'amour rend aveugle, eh bien j'avais perdu la vue et le son. J'ai perdu le toucher des étoffes précieuses et des peaux chaudes. Je n'avais le droit qu'à elle, qu'à son odeur métallique, clinique presque. Qu'à son image blanche, fantomatique, dressée devant mes pupilles comme un drapeau fantôme. Je n'avais le droit qu'à son corps doux, mais amorphe.
    
    Je n'ai pas vu dans sa main tendue la faux que lui avait prêtée son amante, je n'ai pas vu son sourire, écœurant de promesses factices, que j'avais pris pour des serments. Et je l'ai aimée, de toute la force de mes bras que j'ai usés à la tâche, de toute la candeur de ma croyance enfantine, de toute la maturité dont j'étais alors capable. Pour elle, je me suis prostituée cent fois et je suis morte à mille reprises. Pour elle, je suis descendue dans les bas-fonds, je ferme les yeux sur les ruelles noires de corbeaux et de vautours. Pour elle, j'ai côtoyer des cadavres, pour elle j'ai tué et pour elle aujourd'hui encore je suis prête à n'importe quoi.
    
    Elle m'a rendu un pauvre sourire, et à toutes mes faveurs, elle a répondu par une salve éphémère de plaisir fulgurants, un éclair de lumière qui m'a éclaté au visage, un orgasme violent et irréel. Ce qu'elle m'a donné, pendant de courtes secondes, c'est le bonheur, l'intensité jouissance immédiate, la torture de l'exaltation, le supplice balbutié. L'entrechoquement erratique de son érotique personne au milieu de mon ventre abandonné. Quand elle s'est agenouillée, là, en moi, au creux de ma poitrine, quand elle a explosé en millions de parcelles de lumière pure qui se sont fichées sur les parois de mon intimité suppliante, quand j'ai vu en elle le triomphe de sa victoire, quand mes doigts se sont crispés et quand mon dos s'est arqué pour ne plus former qu'une flèche vibrante, j'ai été heureuse, pleinement, douloureusement, rageusement heureuse. Mon corps a demandé plus; il a supplié et elle a daigné lui accorder une nouvelle rafale de noirceur pour laquelle j'ai tremblé. Je me suis mue en elle, j'ai été elle, elle s'est introduite en moi, m'a transpercée, fouillée, foudroyée. Asservie. Puis, l'aiguille a quitté mon bras, et de son chemin en moi il n'est resté que la trace voluptueuse de son infime présence. Je me suis tue.

    La balafre de son nom blafard est restée en travers de mes doigts comme une preuve
  


                                                                                        Nina Faber

Quand j'étais nymphomane



        Vers 15, 16 ans, après avoir passé tout mon adolescence dans la peau d'une obèse se fourrant dans la bouche tout ce qui lui passait sous les yeux de sucré et de gras, alors dotée d'une confiance en moi en déficit abyssal, j'en étais arrivée à penser que le seul moyen pour moi de découvrir ce qu'était un homme, ce serait d'être la proie hasardeuse d'un violeur égaré. Qu'il soit vieux, édenté, fermier et tueur en série, peu m'importait, mon besoin se faisait de plus en plus impérieux.

    J'avais à cette époque une peur bleue de la faim dans le monde, de la déforestation et l'idée de nouvelles guerres, qu'elles soient nucléaires ou inter-ethniques et sur un autre continent, me pétrifiait parce que je ne voulais pas disparaître avant d'avoir connu ça, le grand ça.

   Le premier c'était un lycéen italien venu pour un échange linguistique ; je faisais de l'allemand et du russe mais j'ai probablement su me montrer suffisamment exotique et divertissante pour que ce garçon fasse de moi son devoir extra-scolaire. Tartagueule à la récré, il ne savait pas encore bien viser, je m'en suis pris plein la tronche.

    Le deuxième, c'était à l'arrière d'une voiture qui puait la bière, garée dans le parking du magasin d'alimentation du village. On avait rendez-vous à 22H00. À 23h00, j'étais dans mon lit chez mes parents.

    C'est lorsque je les ai quittés que tout s'est emballé. Au bout de deux mois en dehors du domicile parental, j'ai arrêté le décompte.

    Le lundi ça y allait, moyenne d'âge 50 ans, de ceux qui n'ont pas de femmes et pas d'intérieurs propres et qui préfèrent la bienveillante compagnie qu'on peut trouver dans les pmu à la cathodique lumière publique. Le mardi, des plus jeunes, la quarantaine, des nerveux, le mercredi, des lapins de 25-30 ans, surexcités mais manquant cruellement d'endurance. Les jeudis j'étais en pause, sauf dérogation.
    Pour refaire le plein de sous-vêtements propres, désincruster ma peau, me faire un repas chaud.

    Et du vendredi au dimanche, avec éclat, je me mesurais aux autres donzelles de sortie, à l'appétit modéré.
    
   Ni belle de jour, ni reine de la nuit, mais gratis, généreuse et surtout insatiable !


    Et un soir, j'en ai rencontré un dans la queue à la poste ; il m'a mis un tel coup de grisou que ça m'a refroidie jusqu'aux os. Ça va faire douze ans. Douze ans de foutue abstinence. Aujourd'hui, je vis avec 8 chats, tous stérilisés et castrés. 


                                                                                    Maité Kessler

Quand j'étais sa femme



        Quand j'étais sa femme, j'étais la plus heureuse. Tout ce qui s'était passé avant, tout ce qui se passe depuis, tout ça, c'est des quetsches avec de la sauce et de la moutarde, comme on dit. Ce que j'aimais le plus, c'était le rendre beau. Je lui repassais ses chemises, vous auriez vu ça, on aurait dit un baron. Des chemises blanches, comme les costumes, les chaussures et les chapeaux. Tout était blanc. Toujours. C'est bien plus joli avec la peau noire. C'est très classe, vous comprenez. C'est lui qui me l'a appris. Moi avant, j'avais jamais repassé de ma vie. Mais c'est normal, parce que, comme il disait souvent, dans ma famille, j'avais rien appris. Pas même à me peigner les cheveux, comme il disait. Au début, j'y arrivais pas. Tu repasses le devant, puis le dos, tu t'appliques, tu crois que c'est impeccable mais tu retournes le machin et tu vois que de nouveaux plis se sont formés devant. Là, c'est la merde, si je peux me permettre. Et puis les manches, les épaules, c'est très délicat. J'vous jure, j'en ai passé des heures à essayer. J'en ai même chialé. J'y arrivais pas. Un jour il m'a envoyé le fer à repasser dans la gueule. BING ! Bon, il était pas chaud, hein, mais quand même, ça fait son effet. Ça m'a fracassé la pommette. Je savais même pas qu'on pouvait se casser la pommette ! Mais en fait y'a beaucoup d'os dans le corps humain. Après ça, j'ai appris à repasser à la perfection. J'vous dis, on aurait dit un baron. Alors, il retirait la chemise qu'il avait portée toute la journée (elle sentait le cigare, le poivre et le vinaigre) et il enfilait la nouvelle, toute propre, fraîche et lisse, en souriant avec toutes ses grandes dents blanches. Ah qu'il était beau ! Et puis il sortait.

    Il avait beaucoup de rendez-vous professionnels le soir. C'est aussi pour ça qu'il devait être présentable. Il rentrait très tard, souvent même il rentrait le matin quand je me levais. C'est comme ça quand on a des affaires. Il tombait sur le lit, comme ça, tout habillé ! BOUM ! Moi je lui retirais ses souliers, je faisais glisser son pantalon le long de ses jambes, tout doucement, pour pas le réveiller. C'était pas facile de le déshabiller complètement. Il pèse quand même 110 kilos ! C'est pas rien ! D'autrefois, il rentrait et il me sautait dessus. VRAOUM. Il me retournait et me prenait par le cul. Je peux vous le dire maintenant, j'aimais pas trop ça. Surtout si je venais de prendre ma douche. Faut dire qu'il sentait la transpiration et l'alcool. Moi je ne bois pas. J'aime pas l'odeur et j'aime pas le goût. Et donc il me soufflait dans le cou, c'était un peu chaud et humide, et donc c'était pas désagréable, mais c'était l'haleine qui me dérangeait. ARGH, ARGH, qu'il faisait, c'était drôle quand même. Mais après, j'ai appris qu'il voyait d'autres femmes. Et j'en ai vues quelques unes : des belles femmes noires, avec des belles coiffures, des cheveux avec du volume, comme on dit, et des ongles longs en forme d'amande, rouges ou violets, et des belles poitrines bien grosses. Ça, ce sont de vraies femmes, il disait. C'est vrai, c'étaient des vraies femmes. Elles, elles me regardaient comme si j'étais de la merde, si je peux me permettre. J'avais envie de leur dire que s'il était si beau, c'était aussi parce que je repassais ses chemises, que je les frottais avec du bicarbonate de soude pour enlever les auréoles jaunes au niveau des aisselles, que je lui coupais les poils des oreilles et du nez et lui limais les ongles. Elles auraient du me remercier. Moi, je suis maigre et je boîte. C'est ce qu'il me disait tout le temps : « Toi, tu es maigre et tu boîtes ». Je voulais pas lui rappeler que je boitais depuis qu'il m'avait jetée dans l'escalier parce que je crois qu'il s'en était beaucoup voulu.

   Les gens, ils me disaient qu'il fallait pas que je reste avec lui. Ils comprennent rien, les gens, ils croient tout savoir, ils se mêlent de ce qui les regarde pas. Au tabac, en bas de chez nous, la fille qui me vend les cigares, elle m'a dit un jour : « Faut pas que vous restiez avec lui, il va finir par vous tuer ! ». Là, j'ai vu rouge. C'est pas souvent que je me mets en colère, mais là je lui ai dit : « Mais ferme donc ta gueule, salope, et occupe toi de ton gamin. On dirait un mongolien! ». C'était un peu méchant mais, bon, elle l'avait bien cherché. Au final, c'est lui qui est parti. Il avait mis une fille enceinte et il devait assumer ses responsabilités parce que c'est un homme de principe. Et puis de toute façon, moi j'étais pas capable de tomber enceinte. Voilà. Il a pris tous ses parfums, tous ses costumes et toutes ses chemises. Ça fait quatre ans déjà. Depuis, je me traîne et c'est la merde. Comme j'vous disais, tout ce qui se passe maintenant, ça vaut pas mieux que des quetsches avec de la sauce et de la moutarde. 


                                                                                  Caroline Keppi
                                                                                                               
                                                                                                            

Quand j'étais vivante



        Je ne faisais rien. Absolument rien. Quand je dis « rien », c’est « rien ». Je m’ennuyais, tout seul, dans mon grand studio blanc d’hôpital. J’eus l’idée folle. De voir du monde. Beaucoup de monde. J’avais des copains. Je voulais les voir. Tous. Maintenant. Je les ai invités, tous, à me rejoindre, chez moi, pour un moment. Un moment tous ensemble. Un moment comme on en rêve. Tous ces humains liés à moi, presqu’intimement, mais pas encore. Des copains, selon la définition du Larousse.

    Copain : n.m (familier) : Compagnon classe, de travail, de loisirs, etc.  (est-ce vraiment nécessaire ?)
 
    Ils ont répondu présents, tous, ou presque. Tant pis pour les absents. « Les absents ont toujours tort. », me rappelai-je. Alors tant pis pour eux. Les présents arrivent. Ils ont ramené leur gnôle et leur herbe, comme d’habitude. Ils se vautrent dans le canapé, et discutent. Encore comme d’habitude. Toujours comme d’habitude. Discutent de choses et d’autres. Des choses de copains. Des choses dont les copains discutent.  « C’est normal. C’est ainsi. » me dis-je. « C’est comme ça. ».
 
    Tous ces humains liés à moi, presqu’intimement, mais pas encore. Ils ne le seront peut-être jamais. À ce rythme là, ils ne le seront jamais. Je me retire de la discussion. Je les laisse discuter, et je pense. Je pense et je comprends : nous ne nous lierons jamais. Cela me frustre. Enormément. C’était évident. Nous ne serons jamais 

    Que des copains.

    Ce n’est pas suffisant.

    Je les regarde : ils sont là, tous ensemble, en ce moment même, tous mes copains qui ne seront jamais que des copains. Ils sont saouls. Ils sont défoncés. Discutent comme des copains saouls et défoncés. J’ai arrêté de boire. J’ai oublié de boire parce que je pensais. Je ne suis pas aussi saoul qu’eux. Ils sont saouls et défoncés, ensemble. Et les voilà liés intimement. Je suis seul, sobre. Sobre, donc seul. Ça me gratte le cœur. Ça me picote entre les côtes, derrière les côtes, à cet endroit. L’endroit du sale amour-propre.

    Alors je me lève. Personne ne voit que je me suis levé. J’allume un encens. Ça sent bon, très fort, c’est bien. C’est bien que ça sente fort. Je vais à la cuisine. Il y a ma gazinière. J’aime ma gazinière, elle est belle. J’ouvre le gaz. J’ai ouvert le gaz. Maintenant, je retourne avec mes copains. Mes éternels copains. Mes copains pour la vie. L’un d’eux remarque l’odeur. Il me demande où j’ai acheté mon encens.  Je lui réponds que c’est un secret. Il rit, je ris, et il me demande mon briquet. Je lui tends mon briquet, et il me remercie, me sourit, la clope entre les lèvres, incline la tête, presse son pouce sur la molette qui se frotte à la pierre et


                                                                                    Juliette Béha

mercredi 29 octobre 2014

Combat clandestin

« Notre grande guerre est spirituelle, notre grande récession, c’est nos vies. »
En adaptant Fight Club, le roman culte de Chuck Palahniuk qui glorifiait la violence faite à soi et aux autres, David Fincher n’a pas seulement mis en scène une critique radicale de la vie quotidienne occidentale, doublée d’une remise en cause brute de toute la culture américaine – et accessoirement réalisé l’un des plus beaux films de baston jamais produits par Hollywood –, il aura également accompli un film profondément nihiliste, atteignant dans son paroxysme aux sommets de la théologie négative.
On fait des boulots qu’on déteste pour se payer des merdes qui servent à rien
Le personnage principal, incarné à l’écran par Edward Norton, n’a pas de nom, ou alors plusieurs ; c’est un antihéros banal jusqu’à l’anonymat, qui représente l’archétype du cadre moyen : jeune trentenaire, adepte du mobilier suédois, des plats micro-ondés et de la télévision, et qui le soir venu est incapable de trouver la quiétude et le sommeil que devrait lui fournir tout le confort de son statut social. Il a beau travailler plus pour consommer plus, il doit faire face à un curieux paradoxe, plus il acquiert et moins il trouve le repos. La perte de sommeil va peu à peu modifier son rapport au quotidien ; en ne dormant plus, tout devient à la longue « une expérience hors du corps », chaque chose paraissant être « une copie de copie de copie » ; la réalité elle-même perd de sa force, elle prend de plus en plus l’apparence d’un mauvais rêve perpétuel. Epuisé et désemparé, et pensant peut-être que le bien-être est encore une chose qu’on achète, il se voit refuser par son médecin l’ordonnance de somnifères et de tranquillisants qu’il réclame, intimer à la place de se détendre et de faire du sport, et puisqu’il se plaint de « souffrir », d’aller assister à une réunion de soutien aux malades atteints du cancer des testicules, histoire de voir ce qu’est la vraie douleur. C’est en acceptant de franchir la porte de l’une de ces soirées méthodistes que le cours rectiligne de sa vie cadrée va se briser une première fois.
Et tout le monde qui sourit avec ce flingue invisible collé sur la tempe
Au milieu de ces hommes en sursis, qui vont à la mort ou qui en reviennent, et qui étrangement paraissent plus libres que lui, c’est à l’expression d’une parole vraie qu’il assiste. Loin de tout rôle social, chacun se montre tel qu’il est, vulnérable et mortel, se livrant à l’attention des autres, à leur écoute, à leur compassion. Étant pris sur un malentendu pour un malade lui aussi atteint d’un cancer, il peut laisser éclater à son tour sa faiblesse cachée, et dans les bras d'hommes en pleurs, c’est un semblant de fraternité qui paraît retrouvé. Cette séance bouleversante de libération lui rendant un sommeil d’enfant, le cadre dynamique stressé devient vite dépendant aux réunions de groupe en tout genre : cancer du côlon, mélanome malin, parasites du cerveau, mais aussi alcooliques anonymes, victimes d’inceste. Il le lui faut les multiplier s’il ne veut pas voir l’insomnie revenir. Car ce que recouvre « Cornelius », ou « Rupert », ou « Travis », changeant de nom à chaque réunion, et qui seule le soir l’apaise, ce n’est pas tant la communion obligée dans le malheur, mais cette étrange vérité que le jour sa conscience de « bien-portant » s’empresse de refouler : il faut accepter sa souffrance, au lieu de la nier, en la confessant, en avouant sa peur, ne plus fuir, renoncer aux vagues espoirs pour apprécier l’instant ; devant l’urgence de la mort, ne plus reporter indéfiniment le moment où il faudra vivre. C’est cela, le miracle de la mort qui libère. Il fait donc sienne cette proposition en l’inversant : si perdre tout espoir, c’est gagner la liberté, alors pour devenir libre il faut apprendre à désespérer.
C’est le plus grand moment de ta vie mec, et tu t’en évades
Les effets bénéfiques d’une telle révélation ne durent pas. Une rencontre féminine, dès son apparition, va tout remettre en cause. Marla Singer, jouée au cinéma par la gothique flamboyante Helena Bonham Carter, est une fille paumée, dont la vie n’a aucun sens car « elle n’a rien avec quoi la mettre en contraste », comme beaucoup, « elle a peur de s’engager et de se tromper, aussi refuse-t-elle de s’engager à quoi que ce soit » et dont le seul drame de son existence est qu’elle vit comme si elle devait mourir d’un instant à l’autre « et que cela n’arrive jamais. » La reconnaissant à plusieurs de ses réunions (y compris au cancer des testicules…), il devine qu’elle pratique le même passe-temps que lui et l’image de son propre mensonge lui est renvoyée. Comme elle à l’évidence, il sait qu’il n’est pas malade, pas plus qu’il ne désespère pour de vrai ; tous deux font semblant, ce sont des touristes, qui se donnent l’illusion de la vie en se mettant au contact factice de la mort. Démasqué par sa seule présence, et ne pouvant l’exclure sous peine de se faire lui-même dénoncer, il ne peut fermer l’oeil de la nuit et vit à nouveau la journée comme un somnambule. Ce qu’il ignore, c’est qu’il ne suffit pas de croire qu’on va mourir, ni même de le savoir pour gagner la liberté ; cette mort qui délivre, il faut en faire soi-même l’expérience.
La voilà ta souffrance, la voilà ta brûlure, c’est là et pas ailleurs
La perte de son appartement due à une explosion de gaz après la rencontre dans un avion d’un personnage hors-norme va précipiter son destin. Sans savoir pourquoi, c’est vers ce vendeur de savon atypique dénommé Tyler Durden (Brad Pitt dans le film, branleur magnifique qui se contente d’être lui-même) qu’il se tourne lorsqu’il se retrouve à la rue. Ce dernier l’amène dans un bar à relativiser ce qu’il a perdu et à reconsidérer par la même occasion son existence. Celui-ci admet sans difficulté qu’il est comme tout le monde un simple consommateur, c’est-à-dire « le sous-produit d’un mode de vie devenu obsessionnel », et que les choses qu’il possède ont fini par le posséder. Subjugué par l’allure originale de son interlocuteur autant que par le discours anticonformiste qui le somme d’arrêter de vouloir être parfait, de vouloir être complet, il finit par accepter – après plusieurs pintes de bière et en échange de son hospitalité – de se battre avec ce Tyler Durden qui soutient qu’on ne peut se connaître si on ne s’est jamais battu et qu’on ne doit pas mourir sans cicatrice. Cette baston initiatique – la première d’une longue série – va constituer une seconde rupture et marquer le début du retournement complet de son existence.
Nulle part ailleurs nous n’étions plus vivants que là-bas
De fait, il trouve une chance inattendue d’expérimenter concrètement dans la baston ce qu’il n’avait fait qu’entrevoir aux réunions de soutien ; en multipliant avec Durden, et bientôt avec d’autres clients du bar attirés par ce rituel insolite, les combats d'homme à homme et à mains nues, il apprend à ne plus craindre la douleur (en prenant des coups), à éprouver sa propre force
(en en donnant), à découvrir surtout l’ampleur de son courage et au final à démontrer la supériorité de l’esprit sur le corps. Gagner ou perdre n’a aucune espèce d’importance, il n’est pas question ici d’une démonstration quelconque de force brute, d’orgueil ou d’humiliation, il s’agit avant tout de se vaincre soi-même afin d’apprendre à se connaître et de découvrir au fond de soi ce dont on se croyait incapable. Les combats clandestins, passés du parking du bar à son sous-sol, vont rassembler peu à peu tous ceux que le modèle de vie contemporain reposant sur la simple alternance du travail et de la consommation a laissés insatisfaits. C’est en grande majorité des petits blancs complexés, n’ayant aucune raison objective de se révolter ; n’appartenant à aucune minorité (pas de Blacks dans ces battles, encore moins d’homos déclarés – à moins qu’ils ne le soient tous, évidemment refoulés), ils font partie de la grande classe moyenne indistincte, qui n’a plus rien pour se différencier et qui renferme dans les mêmes conditions plus ou moins étroites le cadre, le pompiste ou le serveur. Tous ces laissés-pour-compte, non pas du pouvoir d’achat mais de la reconnaissance, trouvent ainsi le moyen d’exister à nouveau à leurs yeux et au regard des autres et d’échapper, l’espace d’un samedi soir, le temps d’un combat, au purgatoire de leur quotidien. « On y hurle en langue incompréhensible comme chez les mystiques à l’église et lorsqu’on se réveille le dimanche après-midi, on se sent sauvé. »
C’était notre cadeau au monde
La création de ce club de combat est leur oeuvre à tous deux, mais c’est Tyler Durden, marginal charismatique aux aphorismes définitifs, qui en prend dès le début les commandes et le pouvoir unique. Tyler n’est pas seulement un producteur artisanal de savon qui fait la nuit les poubelles des cliniques de liposuccion pour fabriquer à partir de la graisse des femmes ses produits et les revendre dans des boutiques de luxe à ces mêmes femmes trop riches et trop grosses, il est aussi le soir projectionniste, se risquant à insérer dans les dessins animés des images subliminales pornographiques, quand il n’est pas serveur dans un prestigieux hôtel où il s’amuse à pisser dans la bisque de homard ou à se branler dans le velouté aux champignons. Établissant les règles strictes des combats clandestins (ne pas parler du Fight Club, un seul combat à la fois, l’obligation si c’est le premier soir de se battre...), il finit par imposer à tous les participants ses pratiques de sabotage et de vandalisme, en exigeant de chacun des « devoirs » hebdomadaires : chercher la bagarre avec le premier venu… et la perdre (montrant ainsi que la plupart des hommes sont prêts à tout pour ne pas se battre – dans l’adaptation cinématographique, seul un prêtre dont la Bible a été jetée dans le caniveau portera des coups), fabriquer des catapultes à excréments, agresser des comédiens célèbres, raser des singes dans un zoo... Les membres plus nombreux et plus fidèles à chaque fois les obligent à multiplier les réunions qui ont lieu désormais tous les soirs ; l’alter ego civilisé de Tyler quitte son travail tout en gardant son salaire (la scène de « négociation » avec son supérieur est l’une des plus jubilatoires du film) et s'installe dans la maison abandonnée que squatte Durden, où celui-ci, entre deux baises athlétiques avec une Marla sauvée du suicide, se livre à la fabrication de dynamite artisanale.
C’est seulement lorsqu’on a tout perdu qu’on est libre de faire tout ce qu’on veut
Pour autant, perdre son appart et son boulot et s’évertuer le soir à se démolir n’est pas suffisant. Il manque à ce cadre passé de l’autre côté de la vie sociale un dernier niveau de conscience à atteindre pour être tout à fait libre. Cet ultime pas à franchir vers la liberté, c’est évidemment Tyler Durden qui va lui faire faire, à travers un second rite initiatique qui se révèlera être un baptême à l’acide. C’est l’une des scènes les plus fortes, et certainement la plus violente, qui marque le changement de programme du Fight Club en même temps que le basculement du film dans le nihilisme et la théologie négative. En forçant son « protégé » à endurer une brûlure chimique qu’il lui a faite à la main, Tyler le pousse à capituler face à la douleur ; ce qu’il n’avait fait qu’approcher dans une « illumination prématurée » aux réunions de soutien, il doit maintenant le souffrir dans sa chair, il faut qu’il regarde en face – au lieu d’en avoir peur – sa propre mortalité et qu’il perde toute espérance, en commençant par la plus grande d’entre elles : Dieu. Car Tyler le sait, ce que tous ces hommes viennent chercher dans la baston, comme d’autres se jettent dans les jeux d’argent, l’alcool ou la drogue, c’est encore Dieu, c’est un défi lancé à sa face, comme pour mériter sa colère plutôt que son indifférence. « Tyler avait sa théorie là-dessus, à savoir, attirer l’attention de Dieu en étant mauvais valait mieux que de ne pas attirer l’attention du tout. Peut-être parce que la haine de Dieu est préférable à son indifférence. » Se rappellent-ils que c’est écrit noir sur blanc dans la Bible ? Dieu vomit les tièdes, ce qu’Il aime avant tout, ce sont les saints ou les répudiés, pas la grande masse confuse qui se maintient peureuse dans l’évitement et le non-choix permanents. Ce Dieu caché, dont ils se sentent tous les deux les enfants non-désirés, Tyler lui ordonne d’éprouver son abandon, comme le Christ sur la croix, dans un sentiment de déréliction qui seul peut l’amener à la résurrection.
Dieu ne t’aime pas du tout
C’est là que l’histoire dans la noirceur de son nihilisme retrouve les grandes lumières de la théologie négative, qui affirme que l’on ne peut définir Dieu que par ce qu’Il n’est pas et qu’on ne peut L’appréhender que dans l’expérience du néant. Chuck Palahniuk ou David Fincher ont-ils lu les théologiens du Moyen-Âge, les mystiques rhénans ? Peu importe, Tyler et son comparse, par leurs paroles et leurs actes, reproduisent leur pensée abyssale, et notamment celle du plus grand d’entre eux, Maître Eckhart : « Dieu n’est pas du tout aimable, il est au-dessus de tout amour et de toute amabilité. » Lui aussi considère dans ses sermons qu’il faut tout abandonner, possessions matérielles, volonté propre, savoir, et même croyance : « Ici l’âme perd tout, Dieu et toutes les créatures. Ceci semble extraordinaire, qu’il faille que l’âme perde aussi Dieu ! J’affirme : en un sens, il lui est même plus nécessaire, pour devenir parfaite, de perdre Dieu plutôt que la créature ! Toujours est-il qu’il faut que tout soit perdu, il faut que l’existence de l’âme soit établie sur un libre rien ! C’est d’ailleurs l’unique dessein de Dieu que l’âme perde son Dieu. » Phrases folles et obscures qui lui vaudront une condamnation papale post-mortem. Avec d’autres théologiens, il défend l’idée que le mal conduit au bien, dans un dépassement tout nietzschéen des catégories : « Même le mal doit servir à son salut, et souffrance et plaisir sont tous deux au-dessous de lui ! » Saint Augustin avant lui n’avait-il pas confessé qu’il fallait « désapprendre l’amour » et à sa suite Jean de Salisbury que « l’ignorance de Dieu » était « la véritable sagesse qui vient de lui » ? Angèle de Foligno achèvera le renversement : « Beaucoup croient être dans l’amour qui sont dans la haine et beaucoup, inversement, croient être dans la haine et sont dans l’amour. » Tyler à sa manière se fait le nouveau messie de cette communauté de frères unie dans la souffrance de n’être rien, et qui devant la voie bouchée – ou dévoyée – du Bien, choisissent délibérément celle du Mal.
Vous êtes la merde de ce monde prête à servir à tout
Sur cette voie, Tyler conduira ses cogneurs-vandales aussi loin qu’on puisse aller, puisqu’il les mènera jusqu’au sacrifice et au martyre. En recrutant parmi eux les éléments les plus valeureux selon un mode de sélection emprunté aux monastères bouddhistes (mise à l’épreuve de trois jours sur le perron, obligation d’avoir sur soi un change complet et de quoi payer son enterrement), Durden crée une véritable armée de moines-soldats prête à tout, passant aveuglément pour lui de la simple destruction de biens publics au terrorisme radical. Le Fight Club devient alors le Projet Chaos ; l’objectif n’est plus de faire réfléchir les personnes en commettant des actes symboliques plus ou moins spectaculaires, mais bien de les affranchir – avec ou contre leur gré – de leurs entraves sociales et professionnelles. Le moyen employé est à la hauteur du but fixé, il s’agira pour ces commandos de faire sauter les bâtiments de toutes les maisons-mères des sociétés de crédit afin d’effacer les fichiers débiteurs et de générer le chaos économique. C’est là que ces hommes, qui ont renié leur foi et choisi la voie du mal, loin de contrarier Dieu, ne font qu’accomplir sa volonté.
Si tu devais mourir maintenant, elle te ferait quel effet ta putain de vie ?
Être prêt à faire le sacrifice de sa vie pour libérer les hommes de leur dette – autrement dit de leur esclavage, comme l’a très bien identifié Nietzsche dans La Généalogie de la morale –, peut-on imaginer une attitude plus chrétienne que celle-ci, une aspiration plus grande à la sainteté ? Tyler et ses « singes de l’espace » tous baptisés à l’acide (phrase du Christ : « Vous étiez baptisés dans l’eau, je suis venu vous baptiser par le feu »), ne se contentent pas dans un geste de réappropriation violent de récupérer ce que depuis le plus jeune âge l’école, la télévision et le travail leur ont confisqué – à savoir l’unicité de leur existence, son irréductibilité, sa valeur absolue –, ils démontrent également en acte que jouer sa vie n’est pas seulement risquer de la perdre mais aussi le seul moyen de la sauver, et de sauver celle des autres. Comme Thomas a Kempis – autre grande figure de la théologie négative du Moyen-Âge, auteur de la plus célèbre Imitation de Jésus-Christ – qui sommait Moïse et tous les prophètes de se taire pour mieux entendre la voix de la vérité, ces hommes ne veulent plus adorer un Dieu lointain aux métaphores énigmatiques, ils veulent incarner dans leur chair l’idéal qui les porte et assumer, jusqu’à la mort s’il le faut, toutes les conséquences de leur choix. Dans cette voie sacrificielle, où chacun a perdu jusqu’à son propre nom (dans le Projet Chaos, aucun membre n’a de nom, il n’en prend un, glorieux – Robert Paulson –, qu’à sa mort héroïque), c’est évidemment la part divine de leur être, celle qui aspire à l’éternité, qui leur est révélée.
Nom de Dieu, on a frôlé la vie hein ?
Il semble que Nietzsche ne se soit pas beaucoup trompé dans L’Antéchrist lorsqu’il dit voir dans les premiers chrétiens des destructeurs comme l’humanité n’en a jamais connu (autre phrase du Christ : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre. ») Tyler va pousser l’imitation messianique jusqu’à lui-même disparaître avant l’apocalypse économique annoncée, répétant à sa façon l’abandon des apôtres par le Christ pour que ceux-ci puissent recevoir l’Esprit Saint et non plus seulement adorer un homme de chair, aussi remarquable soit-il, afin qu’ils incarnent à leur tour et agissent. Mais le premier de ses disciples, le cadre insomniaque halluciné, témoin au début impuissant de l'escalade destructrice et qui avait juré par trois fois de ne pas le trahir, va refuser la terreur qu’implique cet absolutisme. Par amour pour une femme dont il réalise soudainement l’importance, la belle déglinguée Marla Singer qui n’a jamais cessé de son côté de l’aimer malgré lui, il prend conscience de l’absurdité de l’entreprise, de sa propre folie ; il finit surtout par comprendre que Tyler et lui ne font qu’un, que cet être qui lui ordonne de toucher le fond et de tout foutre en l’air c’est encore lui-même : un ami imaginaire qu’il s’est inventé pour tenter de sortir de sa vie minuscule et qui aura vécu à sa place la nuit ce que lui le jour n’osait faire. Ce combat spirituel – sa saison en enfer à lui – n’avait lieu que dans sa tête, de même que tout ceci n’est qu’un film, comme vient le rappeler une dernière image subliminale pornographique insérée par Fincher au moment où les tours s’effondrent et où retentit après les chants grégoriens le Where’s my mind des Pixies.
Tyler m’a planté, je suis le cœur brisé de Jack
Cette mise en abyme finale a été beaucoup reprochée au réalisateur, accusé par cette pirouette jugée trop facile de trahir une dérobade morale inacceptable au regard du contenu subversif de l’histoire ; objet de tous les procès d’intention possibles et attendus – apologie de la violence, cautionnement du terrorisme, fascisme, gratuité –, le film s’est fait descendre par la critique et a été un échec commercial qui a coûté la place au producteur de la Fox. Personne, ou presque, n’a relevé la dimension spirituelle de cette allégorie libératrice, fiction non pas nietzschéenne comme il l’a été bêtement évoqué (pas de renversement des valeurs dans Fight Club, les membres ne transgressent aucun des commandements judéo-chrétiens, ils ne volent pas, ne mentent pas, ne tuent pas...) mais singulièrement religieuse, où le héros supplicié, s’il échoue à faire coïncider parfaitement sa vie intérieure et sa vie sociale – question au passage : laquelle des deux, chez vous, est le mauvais rêve de l’autre ? –, réussit par amour à vaincre sa schizophrénie (je ne suis pas celui que vous croyez), sa paranoïa (on m’a volé ma vie) et à renoncer à la haine. Cesser de croire que l’autre est le responsable de ma propre souffrance étant, conformément à ce qu’enseigne la théologie – et pas seulement négative –, le premier pas vers le salut.

                                                                       
                                                                        Frédéric Gournay



Essai tiré du recueil Portraits de social-traîtres, disponible aux éditions de L'irrémissible (www.frederic-gournay.com)

Mauvais sang





  
        Samedi soir. Je me promets de réfléchir à la création littéraire et d’en écrire quelques lignes pour la revue de mon ami Fred. J’ai déjà idée du début. Mais une vive douleur me saute à la gorge et contrecarre mes fumeuses intentions. Me bourre de paracétamol codéiné. Effet bref et limité. Me bourre d’anti-inflammatoire. Effet bref et limité. Jamais ressenti une telle douleur. Dimanche matin. Hôpital des Diaconesses. Alors, qu’est-ce qui vous arrive ? Depuis juillet j’attrape une infection par semaine. Déjà quatre fois sous antibiotiques. Douleur impossible à la gorge. Peux plus avaler, presque plus parler. C’est la loi des séries. Ne vous inquiétez pas. Ma voiture est tombée trois fois en panne cette semaine. Il m’examine. Une angine, une simple angine. Ma main à coupée que ce sont des streptocoques. Vous êtes sûr ? Pas d’abcès. Pas de phlegmon ? Non monsieur, ni abcès ni phlegmon. Je suis urgentiste, faites-moi confiance. Etonnante façon d’appuyer sur sa qualité d’urgentiste. Me connaît mal ce p’tit con. Je juge les gens à la qualité de leurs conversations moi, à leurs goûts. Pas à leurs qualifications professionnelles. Ni à leurs diplômes à la con. Ce zéro bedonnant se rassure sur son compte en précisant à tout bout de champ qu’il est urgentiste. Doit souffrir d’un immense complexe d’infériorité. Traîner dans les rayons développement personnel des FNAC à lire les quatrièmes de couverture des livres de Christophe André sur l’estime de soi et les techniques du bonheur. Vous allez prendre cet antibiotique. Il m’informe avec gourmandise que c’est une vieille molécule. Une vieille molécule que plus personne ne prescrit. Façon de se singulariser, de se donner de l’importance. Un médecin moyen vous aurait prescrit de la pénicilline, mais moi, urgentiste de génie, je vous prescris cette molécule mal aimée. Pur réflexe de solidarité. Avec ça vous êtes tranquille, je suis sûr du résultat. Surtout vous arrêtez les anti-inflammatoires. Impossible docteur, vais pas tenir, donnez-moi quelque chose à la place, l’efferalgan codéiné ne me soulage que deux petites heures. Il rajoute sur l’ordonnance des pastilles de merde. Allez, faites-moi confiance. Je lui règle les quarante-et-un euros qu’il me réclame tête baissée – ferait mieux d’acheter les livres de Christophe André plutôt que d’en lire seulement les quatrièmes de couverture –, le remercie, m’arrête dans une pharmacie, rentre chez moi et avale la vieille molécule que plus personne ne prescrit. Nuit d’horreur. Je craque. Prends plusieurs comprimés d’Advil. À neuf heures moins quart je me précipite chez mon ORL et la supplie avec des gestes (peux plus parler) de me prendre en urgence. Elle me fait asseoir. S’assoit face à moi. Ouvre les jambes. Cale mes genoux au fond de ses cuisses. Avance sa poitrine abondante – si elle croit que j’ai le cœur à reluquer – sous mon nez qu’elle relève d’un coup sec. Glisse une lame métallique dans ma bouche. Abat ma langue. Examine le fond de ma gorge avec un petit miroir. Manque de vomir. Phlegmon. Elle jette un œil sur l’ordonnance de l’urgentiste. Il a osé vous prescrire une chose pareille. Mais c’est un assassin. M’injecte dans la fesse gauche un gramme de Rocéphine©, puis, mi-ricanante, mi-désinvolte, m’avertit que si ça ne marchait pas il faudrait inciser. Surtout pas d’anti-inflammatoires. Jour de colère et de douleur. Prenez votre mal en patience. Facile à dire. Comme si tous les maux pouvaient se prendre en patience. Aimerais bien la voir à ma place. Nouvelle nuit d’horreur. Appel aux urgences ORL Lariboisière. Parviens à faire comprendre que j’ai un phlegmon et que si ça continue je vais m’évanouir de douleur. Faut l’ouvrir. Y’a pas d’autre solution. Passez, c’est une affaire de quelques minutes. Vous verrez, quand le pus jaillira de l’abcès vous éprouverez un immense soulagement. Taxi. Accueil. Les urgences ORL n’ouvrent qu’à huit heures, allez donc aux urgences générales. J’y vais. Attendez l’ouverture des urgences ORL. Ça ouvre dans deux heures, vous passerez en premier et en plus vous aurez des médecins tout frais. J’ai froid, je tremble. M’accroupis devant la porte close. Attente fiévreuse. Me souviens qu’enfant j’appelais mon oncle Edmond « oncle phlegmon ». Moins par détestation que par jeux. En tout cas, contrairement à tante Janine qui rigolait quand je l’appelais « tante angine », il ne supportait pas. Cette vieille histoire lui serait-elle restée en travers de la gorge ? Se serait-il vengé sur le tard ? Mais comment ? Non, c’est idiot. Je délire. Ça y est, ils ouvrent. Ils vont m’inciser, me soulager. Laissent-ils couler le pus au fond du corps ou bien l’aspirent-ils avec une aiguille creuse ? Inscription. Carte d’identité. Carte vitale. Par contre il va falloir attendre monsieur, le médecin n’est pas là. Je griffonne sur un papier mais il sera là quand ? Je ne peux pas vous dire. Il est de garde dans un autre hôpital, en plus il y a des grèves dans certains services et dans le RER. Je ne peux absolument pas vous dire. Peut-être avant midi. En tout cas je vous le souhaite. Ça en est trop pour le fou furieux qui se retient sous ma langue. Hurle, insulte, éructe. À m’éclater le phlegmon. Le pus coule sur les parois de ma gorge. Miracle du verbe. Miracle de la colère. La fille des inscriptions exige des excuses. Vous me tombez dessus, mais j’y peux rien moi, c’est pas ma faute. Non, pas question. Pas d’excuses. Depuis quand exige-t-on des victimes qu’elles s’excusent ? Je sors. Attrape un taxi. M’allonge sous mes couvertures. M’endors. Oncle Edmond se penche au-dessus du poupon Sylvain que lui présente tante Janine. Il se saisit d’une énorme aiguille et la plante dans la gorge du poupon. Réveil en sursaut. En nage. Le téléphone sonne. C’est Fred. Petite piqûre de rappel Sylvain. Plus que trois jours pour rendre le texte sur la création littéraire. Oui, oui, ne t’inquiète pas Fred, j’y travaille.



    Comme je patiente dans la salle d’attente de l’infirmière qui m’injecte chaque fin d’après-midi un gramme de Rocéphine©, je sors mon carnet afin de noter les quelques idées sur la création littéraire qui viennent de me traverser l’esprit. Mais curieusement, c’est cette drôle d’histoire qui se griffonne sur mon carnet, presque à mon insu : Il y a une trentaine d’années j’allais chaque jour vers dix-huit heures dans un petit cabinet d’infirmières pour suivre un traitement par injection suite à une infection que j’avais  contractée aux poumons. Un jour, au lieu de pousser la porte du cabinet d’infirmières, je pénétrai par distraction dans le cabinet mitoyen, celui du docteur Bourricot, vétérinaire. Comme d’habitude ? Comme d’habitude me surpris-je à répondre. Pas vraiment étonnant. L’infirmière me posait chaque jour cette même question. Le lendemain je fis intentionnellement la même erreur. Il faut dire qu’au lieu de me frotter un petit bout de fesse avec un morceau de coton, le docteur Bourricot me l’avait léchée entièrement avec sa langue. Je revins chaque après-midi pendant trois semaines. Un matin, je m’aperçus par hasard – à cette époque j’étais trop déprimé pour me laver et me regarder dans un miroir – que mon visage s’était métamorphosé. Je me rendis au cabinet du docteur Bourricot et demandai sur un ton à peine véhément c’est vous qui m’avez fait cette tête de chien ? De quoi vous plaignez-vous ? N’êtes-vous pas venue ici de votre plein gré ? Personne n’est allé vous chercher que je sache ? Oui, c’est vrai, excusez-moi docteur, c’est ma faute. En fait je n’avais pas envie de me plaindre. J’avais envie qu’il me fasse ma dernière piqûre, qu’il me lèche une dernière fois la fesse avec sa langue. Alors, on la fait cette dernière piqûre ? Je vous préviens, c’est une piqûre très spéciale, une piqûre au-delà des us et des coutumes. En guise de réponse je m’allongeai sur le ventre. Au lieu de me lécher la fesse il me lécha longuement ce qu’il me dit être la lettre g de l’anus. La lettre g de l’anus ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire. L’anus n’a pas de lettre g. Neuf semaines plus tard j’entendis bêler dans mes selles un agneau minuscule que j’allai aussitôt montrer au docteur Bourricot. Son cabinet n’existait plus. À sa place se tenait une étrange maison. J’y abandonnai discrètement ma petite créature et sortis comme si de rien n’était.

                 




    Comme tu sais ma vie a basculé le samedi 21 novembre lorsque le médecin biologiste du laboratoire où suite à une longue série d’infections j’avais déposé mon (très mauvais) sang m’a appris que je souffrais probablement d’une leucémie aiguë et fait admettre en urgence à l’hôpital Saint-Louis. Diagnostic confirmé par une analyse approfondie de ma moelle osseuse. Ma vie ne tient donc plus qu’à un fil, en l’occurrence quelques durites transparentes qui m’injectent dans la veine cave de multiples poisons censés me sauver une peau à laquelle je ne devais pas tenir tant que ça.
« Entré en aplasie » je suis à la merci du moindre germe. Bactéries ou champignons.
Si le traitement de cheval prévu par le protocole marche bien — pourquoi marcherait-il, je ne suis pas un cheval — une greffe de moelle sera tentée.
Ici chacun (femmes de ménage, aides soignantes, infirmières, externes, internes, chefs de clinique, PH, chef de service) prend bien soin de ne jamais prononcer les mots cancer et leucémie. Si bien que « la maladie » est le nom de ma maladie.
Je suis profondément touché que tu aies accepté de prendre en charge mon recueil de textes, peut-être parviendras-tu à le faire vivre. De quoi me guérir. Voire de quoi me ressusciter si la maladie arrachait le dernier mot…
« Cet écrivain que donc je n’étais pas » serait un bon titre.
C’est drôle mais je m’aperçois que recueil est une anagramme partiel de cercueil.

Si on ne fait pas de la littérature avec de bons sentiments on n’en fait pas non plus avec de mauvais. On en fait avec tous les mots de la terre : par exemple leucémie, chimiothérapie, aplasie, paralysie, folie, agonie.






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    Saint-Louis. Fondé en 1607 par Henri IV pour soigner les pestiférés. Ça me plaît bien cette histoire de pestiférés. Ce bon vieil Henri IV. Dire qu’enfant je dormais dans sa chambre.

Je me permets de vous dire ce que je dis sans aucune hésitation à tout patient : pour les problèmes hématologiques, Saint-Louis est le meilleur hôpital d’Europe et s’il est certain que ce dont vous souffrez n’est pas une simple appendicite, il est clair aussi que c’est ici que vos chances sont maximales.

Je me demande si ce cancer n’est somme toute pas une belle affaire. Me fais en tout cas aucun sang d’encre. Compte bien tremper ma plume dans cette mauvaise sève.



Les derniers dix jours furent épouvantables, comme si chacun dans le service avait reçu l’ordre d’épuiser mon corps, de la martyriser jusqu’à la moelle, de le mener à un état de pure souffrance, c’est à dire de pure immatérialité, de pure subjectivité. Mon corps tout endolori n’est pas comme le croyait Lichtenberg cette chose dont nous ne voyons ni les yeux ni les oreilles, très peu le nez et la tête.

Ni ça fait mal ni ça me fait mal ni j’ai mal.

Dehors il pleut. Averse impersonnelle qui me fait froid dans le dos. Et si dedans il souffre comme dehors il pleut.

Je les entends à peine se chuchoter il meurt. Peut-être se chuchotent-ils d’ailleurs tout à fait autre chose. Des choses comme il pleut ou il vente.



Que tu pries pour moi, je le comprends — j’ai un très bon ami chiite qui prie aussi beaucoup pour moi — et t’en remercie. Que tu sois optimiste parce que Jean-Paul II m’aurait jadis touché de sa main miraculeuse, je le conçois. Que tu penses que dans ma leucémie aiguë il y ait quelque chose de positif, je le conçois. Mais que tu me racontes de telles inepties, je le refuse. De te les raconter à toi-même ne te suffit-il donc pas ? Je me souviens qu’il y a vingt ans tu avais osé prétendre que si ma fille avait fait des convulsions hyperthermiques c’est parce qu’elle n’était pas baptisée. Que de telles abjections puissent germer dans un esprit me fait froid dans le dos. Je te prie donc de ne pas polluer par tes piètres prophéties et tes mièvres bons sentiments l’espace stoïque où je me suis installé.

Pris six kilos en trois jours alors que je ne mange plus rien. Magie ? Que nenni. Des œdèmes colonisent mon corps, certains entravent ma respiration. M’ont perfusé d’urgence un diurétique ultra puissant. Toutes les six minutes m’empare d’un de mes deux pistolets. Toutes les demi-heures vais les vider aux toilettes. Résultat des courses : perdu cinq litres en quatre heures. Quatre heures pendant lesquelles je n’ai réussi à lire que trois lignes de « Heidegger et la question du temps ».

Pas d’être sans jouissance de soi. Seul un soi fini, charnel, peut jouir de soi. Pas de soi infini. Sinon spéculatif, conceptuel, formel, vide. Voilà ce que je comprends aujourd’hui sur mon lit de bientôt mort avec une étonnante acuité, jouissant comme jamais de mon existence, ou plutôt de mon immense fatigue, c’est-à-dire de ma finitude, de la nécessité de la finitude.

A mort qui tremble devant la vie parce qu’il tremble devant la mort.

Acceptation radicale et joyeuse de la finitude par la finitude finissante. Compréhension fulgurante de la finitude par la finitude finissante. Nécessité de la finitude. Jouissance de cette nécessité. Evénement. Surcroît. Supplément d’âme. Supplément d’Un. L’Un véritable, effectif, concret, non spéculatif, non conceptuel, non formel, l’Un de la manifestation, l’Un de l’épreuve de soi, l’Un-fini, l’Un-sensible, l’Un charnel.

ce dieu dont nul n’a jamais vu ni la face ni les fesses
ce dieu dont on t’a fait enfant la menteuse promesse
voilà qu’au fond du cœur tu reconnais enfin qui est-ce
c’est idiot mais c’est ainsi ta finitude est sa liesse



Le champignon vénéneux qui pas à pas prend pied dans mon corps me possèdera bientôt jusque dans mes moindres recoins. Remèdes ou pas remèdes.

Quelque chose va bien finir par me ravir. Mais non, rien ne m’arrive. Pas même ce rien. Voilà ce dont je souffre. Ou plutôt ne souffre pas. Ecrirais-tu cela aujourd’hui ?
        
Pour ne rien rater – sait-on jamais ? – je décide d’attendre encore un peu. Mais, captivé par ce qui sous mes yeux refuse d’arriver, je m’éternise et me fige. Ecrirais-tu cela aujourd’hui ?

J’écoute en boucle le Stabat Mater pour des religieuses de Charpentier.

Maman, quatre-vingt huit ans, puits sans fond de douleur, prend souvent de mes nouvelles. La semaine dernière elle s’est blessée au mollet. La plaie à fleur de peau refuse de cicatriser. Une infirmière passe chaque matin lui refaire son pansement. Tu sais, mes antalgiques me tourneboulent. Elle ne ferait plus vraiment la distinction entre le jour et la nuit. La vie et la mort. Nous voilà plus proches que jamais.





Premières pages du roman de Sylvain Courbon intitulé Mauvais sang

L'océan de mon unité infinie



l’océan de mon unité infinie. désœuvrement et oisiveté. agacement. opinions aigres et confuses. il est devenu impossible de dire mon nom sans que la foule, dans un espèce de réflexe pavlovien, n’applaudisse. si pour un aveugle, un sourd seul compte. être en pleine possession de ses moyens équivaut à avoir des investissements affectifs primaires. FETE. l’opinion publique se désintéresse de plus en plus des tribulations politiques. il se manifeste chaque jour un antiparlementarisme grandissant. dans sa fatigue. le matin. magma informel. maintenant chez ses freaks. odeur âcre. implosion pulmonaire. cage thoracique incurvée. balancements frénétiques invisibles. suspension. air paisible et enfumé. musique. sophistication électronique. la fatigue comme enjeu. pas de contour. corps douloureux. ennui. sommeil. pourri. le goût à la plainte. en plein cœur. pas de vedette. pas de brillant causeur. pas de petite crapule. pas de penseur. pas de conteur enivrant. personnes humbles. pas de morveux. des gosses gentils. tout ça me rend légèrement maussade. échange moi de paroles. chuchotements. cool. préciosité. dérisoire cérémonie solennelle. rien à dire. ça suit. ça pouffe hystérique. elle parle de porte. elle sait à quoi s’en tenir. un autre perd les pédales. pendant des années, des années et des années. n’imitent rien. sont soignés, attentifs à leurs bobos. corps lisses sans histoire. bouffis. ils bercent mon spleen. ni sages ni ambitieux. et le zonard du jour. v’la la geisha qui revient. elle a sérieusement l’air de vouloir mon bonheur. si elle savait. quasi, au milieu de ces inexistences, envies de douleurs. fatigue et confrontations ? plaintifs et dressés. grogner. cet état de concentration si désirable, disent-ils. eux. un obstacle tranquille. ses faux membres font des récits. questions-réponses. fantaisistes. ni renseigner les curieux sur sa nature. c’est désastreux mais inévitable. un tapis dont on voit la trame. si au moins le tas arrêtait. tintement des longues aiguilles. ma violence contenue. torpeur. je ne suis jamais sorti. je suis de ceux qui se racontent des histoires. pour ne pas voir. allumé. déconcentré. ce soir, je suis enfin seul, taiseux, sans fatigue, universel, indifférent, essentiel. cynique. un magma d’exprimé. qui ne se regarde pas. plutôt mécontent. à petites enjambées. il y a encore de la tragédie. une obligation à la pudeur. froid, fermé, hostile, distant, possible. même vraisemblable. blessé. dissout de plus en plus rapidement par l’éthique. saleté qui m’éloigne de moi, me sépare du monde. transparence et modestie. ça jure. et l’implicite. mystification au carré. déréalisé. cette histoire a un sens mais j’ignore lequel.

mes histoires de dépense me donnent l’air con. il est taré. en tout cas, seul. entre éclairs. elles surveillent l’usure. moi, j’aime les rides. le lisse. utopie concentrationnaire. adulation. inexorable anorexie fausse de la sérénité. eux sans doute. toujours nietzsche. le dédain. mais dans le confort. je hais être sur la défensive. de même la mouille un peu médiocre des confidents faciles. je valorise l’amertume. corps spartiate. la propreté du vide. hors de l’histoire. on s’acharne sur le moi. ça m’indiffère. les choses ont lieu quand elles sont nécessaires. putain ! le politique. le despote. trop. brasser laborieusement la simplicité. traqueur de morales. vérifier sa mesure. donner toujours plus. ne pas être petit maître défait. grognements satisfaits. résignés. eux. peut-être ? ça ne fait rien. mais. tout. sont marrants les gens. certains, complaisants, m’écoutent. merci. y a pas de quoi. si, si. sont bizarres les gens. si tu peux le faire, je peux le faire. ah bon ? réduction vérifiée. je ne me suis jamais beaucoup intéressé. je ne m’intéresse plus du tout. modeste et confus. personne. ça je dois l’apprendre par cœur. c’est beau la nuit. j’aime la nuit. j’adore la nuit. je me roule dans la nuit. je ne sais plus rien. pourtant, d’un jour à l’autre, pareil à moi-même. très sociable, je m’excuse plus. jamais. le salariat me guette. la salope. gain contre gain. simple, je suis fort. et tellement naïf. ma propre instance de vérification. petit refus. dans l’ordure.

l’intégrité. neutralité stylistique. rester intègre. un numéro gratuit. tout glace. dérive de lumpen. trop sommaire. un peu médiocre ce confident facile. générosité stupide. valoriser cette amertume. séduction indiscutable. il n’arrive plus. il s’ennuie. lui-même. reflet. que va devenir l’irresponsable ? le mutisme. agglutination. factice. amalgame. terrible insignifiance. ils n’insistent pas avec leurs questions débiles. ils fouillent consciencieusement. incroyablement suffisants. alignés. atroce. condescendants, descriptifs, laborieux. j’avais tort. fini. souple. il n’y a pas pire bavard. mécontent, je suis à la hauteur. hébétés, ils sont une demie douzaine. je veux n’être que poudre aux yeux, leur dis-je. glandeurs moisis ! kermesse forcée. le geste long et calme, théâtral mais parallèle. à hurler. comme un hiver sibérien. brouillard du nord, carne de brume. énergie péniblement entassée et jamais dépensée. tu es trop seul. immédiatement, outrepasser le limité. ça susurre du miel. ça ne s’outrepasse pas soi-même. c’est gentil avec l’existence singulière. l’au-delà est là. doit pas être très animé. la violence du diététique.

venir, eux parlent de ventre à ventre, et lui à terre, tout le contraire d'un politique, jamais patient ni intraitable, ou parfois à contretemps, il ne bouscule pas. il ne ricane pas. l'air sage, détendu, expansé, entièrement autre, prodigieusement tolérant, naïf, retrouvé, brouillon, sale, pas un nuage, posant les pieds avec attention, sans fatigue, sans travail, efféminé, doux, bien d'être là. sans rien voir, la nuit, hors de la zone, une petite déception, ils mettent mes grandes histoires, une balance, avec l'habituelle insignifiance, la rumeur des travailleurs sociaux, face à face, mon envergure, plus de bons chiens, début de dégel, retour d'humour, plus d'ablutions, les riches, je ne pouvais pas. je n'arrivais pas à croire, et encore moins aux gains, donc je me devais courageux, je le fus. du fanatisme au fanatisme, tous me semblent fanatiques, lunatiques, déménager, du vendu à l'invendu, le dernier client se plaint d'être seul, rien n'est à moi. et encore moins la puissance, bien peigné, clame calme, symétrique, hiératique, regarde droit devant, civilisé, faut pas le dire, je suis son maître, soucieux j'entre dans l'abrutissement, avec efforts, jouisseur naïf et enchanté, simple, obscène, tête ulcérée, tôt. très tôt. plus de rancune, repris sur moi. fait endosser ce paletot à mon laisser-aller,

ce serait un repaire de valeurs, passionnant autisme, la crevasse, malaise d'être un aspirant mégalomane qui se complait dans la fréquentation de débiles ayant le même hobby, il se décompose, fin d'un bluff, trop sommaire, trop de temps, je ne l'ai pas regardée, touche-moi ! plus bas ! je m'assis, sans moyens pour plaire, démuni, la sécurité se répand, il faut que je m'embarrasse. mes nerfs de chicot, rien à mesure, dire, pulvériser à hauteur, homme-amulette, s'autoriser à entendre, échappées bougonnes, en fin chaînes intenses, de fois en fois, étouffant, corps de Spartiate, ascète distrait, l'horreur de l'argent, la défensive, la manipulation, la propreté des espaces vides, draps vierges, entre en scène, la médiation, de suite se contredisant, long retour et souvent sans valeurs, on se flatte, on se quitte, sans savoir, où vas-tu ? les jeux ne sont pas faits, en décadence, je ne les vois plus, acheter, vibrations, elles se paient des écouteurs professionnels, faut les voir retroussant leurs manches, «on va enfin pouvoir bavarder», simple flatterie, il. elles attendent qu'il pleuve de la reconnaissance. « mettez-m ‘en cent grammes ». l'une est emphatique, gravité placée, à tant par mois, équilibre sur résignation.

bons, après vous, je n'en ferai rien, une chance sur dix d'échapper à la partouze. enfin, dans le cosmos, pourquoi pas. il entend, une chose est de savoir, des effets incroyablement libérateurs, la télé sans doute, à dessein aux dimensions d'un simple conflit, une expérience autorisée sur les colonnes, à moins que la sonnerie du téléphone, les hommes de mains, assurer la suppression de tous les graffiti, couverte d'amulettes, elle s'approche, la fatigue, le boulot pourriture de la vie. tu l'as dit, bouffie, pulvérise à tout jamais, ça y est. v'ià la partouze. j'suis pas à la hauteur, spontanément jamais, détends-toi papa, sans commune mesure avec la première, c'est long. mars, rien à en dire, dansons, répondeur automatique, technologiquement superbe, et le design, accrochez-vous, il ronfle. toux acre, mer de brouillard, marin, les nerfs de la bise, un désir de fôhn. ils se servent indéfiniment, l'hypnose, l'arrivisme splendide. ça n'a pas marché, échange dur. tout à en dire, c'est intéressant, le succès, c'est peu dingue, renforcer, inexacte répétition, une béatitude de moins, brillant, comme jamais, cynique, obligation vraisemblable, saleté de modestie, terre ! autistes, récit sans nature, seul.


que se gâte toute satisfaction limitée, ne pas faire reculer l'angoisse devant la vérité, supprimer les deux, tendre, à conserver, apaise-toi. défais ta cravate, laisse les bouches aspirer, accumulation, le simple vide, le côté déprimant de l'exotisme des couleurs variées, saturation, tranquille et inerte, la fossette qui fait voir profondément le squelette, explosion, en v'ià un qui se met à gémir, vagis ! hé ! singulièrement dépouillé d'émotions, le rouquin se penche, bouche à oreille, la négation ne mène nulle part, il n'a pas les bronches claires, ça siffle, souffle mec. toute chose telle qu'elle est. sort de coquille, deux aiguilles, noétique. tranquille contentement de soi. parlent jamais, rabâchent pourtant, à la bouffe, «se restaurer», en chinois tien-sin. littéralement ponctuer l'esprit. sont cirés, cent fois l'insipide repasse, le silence, être dévisagé, puis jeter dehors, étouffé, légume, dans cet espace étroit et blanc aux fenêtres aveuglées, intensément privé, tapis, anonymat, immatérialité, nulle part, si mais enfin, un tombeau de drames, une tradition sans âge. des chaînes do it yourself. ça se touche, se frôle, pas d'empoignade, pourquoi pas ? café de blé. qui qui l'a fait, je me marre tout seul, bougon, maussade, sourires, sois pas speed, taré, on t'en veut pas. v's êtes trop. 


                                                                                   Yves Tenret