mercredi 14 juillet 2021



Les Éditions de L'irrémissible
 reviennent prochainement avec différents auteurs, de nouvelles collections, dont les ouvrages seront disponibles en numérique et au format papier, en tirage classique et/ou en éditions limitées, à la commande et en librairies

À très bientôt




mardi 6 juillet 2021

Sans regarder par sa fenêtre




        La mère met l'index à l'oreille, elle veut savoir quelle est ma musique, je lui tends les écouteurs, qu'elle approche de ses oreilles avec attention, l'air intrigué, c'est Mendelson, Par chez nous. Elle pose le doigt sur mon livre, ce que je lis ? Lao-tseu, Tao-tö King, elle fait signe de la tête, non, elle ne connaît pas, je dois mal prononcer, Lao-tseuuu, Laaaao-tseu, Laooo-tseu, Lao-zi ? Ça ne lui dit rien. Sa fille, un peu boulotte, apprend à compter en chinois à Assia, qui retient vite. Derrière la vitre du train défilent les montagnes végétales, les mines de charbon à ciel ouvert, les champs, les vaches, les ânes et les moutons. Pékin est loin derrière nous maintenant, nous l'avons quittée sans regret, fatigués de sa pollution, de ses chantiers, de ses centres d'attractions touristiques et de ses statues kitchs. Datong nous attend, puis Pingyao, Chengdu, le Sichuan, Songpan, Leshan, Emeishan, après nous partirons pour le Yunan, toujours plus au Sud. Combien de cars, de trains, d'avions à venir ? 

    Assia, écoute ça, de Lao-tseu : Sans franchir sa porte, on connaît l'univers. Sans regarder par sa fenêtre, on aperçoit la voie du ciel. Hum, venir jusqu'en Chine pour découvrir qu'il est inutile de voyager, ce n'est pas un peu paradoxal ? Ça me fait penser à Maître Eckhart dont je t'ai parlé, si un homme n'est pas tous les hommes, l'âme, elle, connaît toute l'humanité, tous les grands mystiques finissent par se rejoindre. Et ça, de Lao-tseu, toujours : Qui cherche à façonner le monde, je vois, n'y réussira pas. Le monde, vase spirituel, ne peut être façonné. Qui le façonne le détruira. Qui le tient le perdra. Je ne suis pas sûre de comprendre. C'est la vertu suprême du taoïsme, il s'agit de ne rien s'approprier, de ne rien attendre et surtout de ne rien contraindre. Il faut laisser venir, en se faisant soi-même réceptacle, ou vase si tu préfères. Tu devrais t'en souvenir pour tes potes de la revue, que tu contrains au boulot par les menaces ou les insultes ! Seul un homme pleinement humain sait bien aimer et bien haïr, a dit Confucius, oui mais à ce rythme-là tu n'aurais bientôt plus personne à haïr, alors il ne me restera plus qu'à aimer tout le monde. 

    Je devrais leur envoyer ça de Confucius, sur une carte postale : Mes amis, vous croyez que je vous cache quelque chose ? Je ne vous cache rien. Tout ce que je fais je vous le montre. Je suis comme ça. J'en ai fait ma profession de foi d'écrivain, c'est mieux que du caviar pour les cochons, en effet. Et ça, de Lao-tseu encore, pour Marc : Souvent un homme qui entreprend une affaire échoue juste au moment de réussir. Vous n'allez pas rejouer ensemble ? Son album est électro, jouer au clic ne m'a jamais intéressé, autant laisser tourner les machines ; la performance qu'on a fait au Cleub avec Romain aux claviers, c'était notre dernier concert, même si Marc ne le sait pas forcément. Ma batterie est chez mes parents maintenant, elle a rejoint le tombeau musical, à la cave, où reposent mes vinyles, en paix. C'est dommage, regrette Assia, qui a pris goût à l'instrument, évidemment, une Tama Superstar en érable, avec un son incroyable, une chaleur, et une caisse-claire douze tirants magique, qui sait ? Elle servira pour notre enfant, ce sera son héritage.




Extrait de Pars loin l'aventure est infinie
de Frédéric Gournay