mardi 31 mars 2020

L'amour au temps du Corona




    Les tremblements se sont transformés en spasmes et les spasmes en convulsions. Autour de moi, les sièges se sont vidés, tous les passagers ont fui, cédant à la psychose du Coronavirus. Je reste seul dans l'espace d'attente, je gémis en jurant, j'ai si froid. Un membre du personnel qu'Assia est allé chercher, le nez et la bouche recouverts d'un masque, me met sur un fauteuil roulant et m'emmène, Assia nous suit en pleurant, poussant un chariot plein de sacs et de cadeaux qui ne cessent de tomber. Je traverse l'aéroport en pensant à mon père, je me tiens comme lui, avachi et désemparé, je dis à Assia que j'ai l'impression d'être mon père. Elle va faire les démarches nécessaires pour annuler l'embarquement et récupérer les bagages, avant de me rejoindre devant un panneau indiquant la direction de l'hôpital de l'aéroport. L'homme nous fait faire cent détours, nous passons par dehors, nous prenons trois ascenseurs, nous faisons encore cent détours par les couloirs, avant d'arriver dans une pièce sans fenêtre où l'on m'allonge sur un divan d'auscultation. Je reste seul pendant qu'Assia part en quête d'une consigne. Je suis incapable d'arrêter les tremblements du corps, je tousse de plus en plus, le nez coule comme une fontaine. Les muscles se tétanisent, j'ai si mal que je pourrais compter tous mes os. Pour la première fois de ma vie je me dis que je pourrais mourir. Ici ? À Bangkok ? Je me mets à prier, je récite, pour la première fois depuis l'enfance, un Notre-Père, les tremblements de mon corps s'arrêtent. Je cesse de prier, les tremblements reprennent. Je prie à nouveau, le corps se calme ; j'arrête la récitation, je redeviens un tremblement de terre. Je ne vais quand même pas prier en permanence, quel homme est capable de prier tout le temps ? Un fou ? Ou un saint ? Le médecin arrive, il est jeune, il doit avoir mon âge, il me demande ce qui se passe, comment se fait-il que j'ai attendu quatre jours avec de la fièvre, j'ai du mal à parler, à penser, je lui rapporte le précédent avis médical, le diagnostic désabusé du médecin de Ko Samui. Après avoir pris la tension, écouter la respiration et le cœur, il m'explique que je ne peux voler dans cet état-là, je suis bien d'accord, il est obligé de m'hospitaliser pour faire des examens, il y a de grandes chances selon lui que ce soit la malaria. Assia m'a retrouvé, une infirmière me remet deux cachets que je n'arrive pas à prendre, je ne peux même plus avaler ma salive. 

    Je ne vois rien à travers les vitres aveugles de l'ambulance, le trajet me paraît long, les ambulanciers me remettent à des brancardiers qui me transportent au service des examens sanguins. Nous passons par le service de pédiatrie, allongé sur le brancard je regarde les mobiles au plafond, les jouets, les peluches qui traînent, les dessins d'enfants accrochés aux murs, ce sont les mêmes partout dans le monde. L'infirmière est experte, je ne sens pas l'aiguille qui perce la peau, je compte avec elle les flacons qui se remplissent. On m'installe dans une petite salle à la climatisation trop froide, sur un divan d'auscultation inconfortable ; à côté de moi se tient suspendu un squelette anatomique au sourire hideux. J'ai l'impression d'avoir été enfermé dans un frigo avec l'image de ma propre mort. Assia m'y rejoint avec une couverture, elle la jette sur moi un peu maladroitement, me recouvrant le visage, hé ma belle je ne suis pas encore décédé, la plaisanterie la fait rire, ce qui me fait du bien. Au bout d'un temps indéterminé, durant lequel il me semble avoir perdu connaissance, un médecin peu motivé et parlant mal l'anglais vient nous donner les résultats, qui sont négatifs pour la dengue et la malaria. Je ne sais pas pourquoi, je m'en doutais, ce qui m'inquiète encore plus. À bout de force, je dis à Assia de contacter l'assurance, je veux me faire rapatrier avec elle. Elle surmonte les obstacles de langues et de secrétariats, j'ai un médecin français au téléphone, il me déconseille fortement de voler, il nous envoie immédiatement le correspondant de l'assurance sur place. Un Thaïlandais, bien habillé et parlant parfaitement l'anglais, finit par arriver, il nous explique qu'on va me transférer dans un autre hôpital. Je repars en ambulance, toutes sirènes hurlantes, où est passée Assia ? Je sens que je vais à nouveau perdre conscience. L'infirmière qui est avec moi à l'arrière me regarde d'un air très gêné, elle tousse, Mister, hum ? Elle fixe mon entrejambe, elle rougit d'embarras, elle répète, Mister, quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Elle désigne du doigt ma braguette, your pants is open, oh, je la remercie, à demi évanoui, je referme mon pantalon, elle pose ensuite un drap bleu sur mes cuisses, du bout des doigts. Si tu savais ma chérie, dans quel état je suis.


Extrait de Pars loin l'aventure est infinie
de Frédéric Gournay