mercredi 6 avril 2016

Jusqu'au bout - 2 -






        Il faut en parler. Ça n’intéresse personne mais il faut en parler. Le dire. Raconter. Raconter ce qui ne se raconte pas. Quoi ? L’indicible, l’ineffable ? Non. La violence du monde ? La souffrance ? La douleur infinie ? Non plus. L’injustice alors ? La folie, le délire omniprésent ? Encore moins. Ah oui, la comédie sociale, la parodie permanente, la tragédie de l’existence, le grotesque de sa mise en scène à peine croyable ? Même pas. Mais le vide, les instants perdus, le temps qui s’écoule et ne va nulle part ; les égarements, les plaisirs solitaires, la détresse coupable, le narcissisme triste, le romantisme sordide, les regrets diffus, le lyrisme des espoirs déçus. Ou encore : les oublis, les manquements, le silence du rien, la vacance, l’abrutissement volontaire, le lent renoncement, l’abandon, la nullité. Tous ces moments où il ne se passe rien, ces heures qui ne servent à rien, et qui ne se racontent pas, qui ne peuvent se dire autrement qu’en termes de « merdeux », de « merdiques », de « chiants », ou de « nuls. » Ce ne sont donc pas le nombre de voyages faits, de livres lus ou de disques écoutés, de filles baisées et de trucs achetés, mais bien tout ce qui ne compte pas, ou qui ne peut se compter, tous ces moments inutiles qui énoncent au creux de l’oreille ce qui ne peut s’entendre que dans le vide et l’absence : que le plus important est peut-être là.


Extraits du recueil Futurs contingents
paru aux éditions de l'irrémissible
www.frederic-gournay.com