Il
faut en parler. Ça n’intéresse personne mais il faut en parler.
Le dire. Raconter. Raconter ce qui ne se raconte pas. Quoi ?
L’indicible, l’ineffable ? Non. La violence du monde ?
La souffrance ? La douleur infinie ? Non plus. L’injustice
alors ? La folie, le délire omniprésent ? Encore moins.
Ah oui, la comédie sociale, la parodie permanente, la tragédie de
l’existence, le grotesque de sa mise en scène à peine croyable ?
Même pas. Mais le vide, les instants perdus, le temps qui s’écoule
et ne va nulle part ; les égarements, les plaisirs solitaires,
la détresse coupable, le narcissisme triste, le romantisme sordide,
les regrets diffus, le lyrisme des espoirs déçus. Ou encore :
les oublis, les manquements, le silence du rien,
la
vacance, l’abrutissement volontaire, le lent renoncement,
l’abandon, la nullité. Tous ces moments où il
ne se passe rien,
ces heures qui
ne servent à rien,
et qui ne se racontent pas, qui ne peuvent se dire autrement qu’en
termes de « merdeux », de « merdiques », de
« chiants », ou de « nuls. » Ce ne sont donc
pas le nombre de voyages faits, de livres lus ou de disques écoutés,
de filles baisées et de trucs achetés, mais bien tout ce qui ne
compte pas, ou qui ne peut se compter, tous ces moments inutiles qui
énoncent au creux de l’oreille ce qui ne peut s’entendre que
dans le vide et l’absence : que le plus important est
peut-être là.