Mais
l'époque où tout était intimement lié ? C’était quand ?
Te rappelles-tu ? Lorsque tu étais enfant ? Que tu
observais le papillon sur la fleur ? Le soir allongé sous les
arbres en contemplant le ciel étoilé ? Lorsqu’on te
racontait des histoires ? Pendant la Renaissance ? En
Italie alors ? La première fois que tu es tombé amoureux ?
Saoul avec les amis ? Du temps des Grecs ? Quand Hercule
terrassait le centaure ? Tu avais quel âge ? En quel
siècle était-ce ? Rappelle-toi, c’était avant que tout ne
soit séparé, toi et le monde, toi et les autres, toi et la vie. Il
n’y avait ni maîtres ni esclaves, la vérité n’était pas à
vendre. Le labeur et le bruit, les guerres et l’Histoire ont depuis
soulevé une poussière qui a tout recouvert. Abandonne tes pensées
timides et mortelles, tes réflexions instables, une tente d’argile
alourdit ton esprit aux multiples soucis.
Au cœur de ton destin malheureux, il t’est donné de recouvrer ça,
de rassembler ce qui a été désuni, de retrouver ce qui a été
perdu. Oublie la douleur, la fatigue et l’ennui. N’aie pas peur,
garde courage, ne lâche pas ma main. La sagesse crie, avant la
gloire, il y a l’humilité : en avant pour la gloire. Regarde,
la malédiction change déjà de visage. Tu es ici. Je suis là.
Tu
peines, te fatigues et te hâtes, pour n’être que mieux distancé,
tu fuis alors que personne ne te poursuit.
Partout
l’amour du néant et la course au mensonge. Ces pensées ne sont
pas tes pensées, ces voies ne sont pas tes voies. Ce que tu
n’as pas pris, devras-tu le rendre ? Tu te croises les bras et
te dévores toi-même. Tromperie que la grâce ! Vanité, que le
la beauté ! Pour se divertir on fait un repas, le vin réjouit
les vivants et l’argent a réponse à tout. Je
suis noire et pourtant belle, ne prenez pas garde à mon teint
basané, c’est le soleil qui m’a brûlée. Dans
l’éternité, ceinte de la couronne, elle triomphe, pour avoir
vaincu dans la lutte, dont les prix sont sans tache. Les idolâtres
ont décidé que notre vie était un jeu d’enfant, notre existence
une foire à profits, il faut gagner, disent-ils, par tous les
moyens, même mauvais. Je regarde : personne pour m’aider !
Je montre mon angoisse : personne pour me soutenir ! Alors
mon bras est venu à mon secours, c’est ma fureur qui m’a
soutenu. Jusqu’à quand ne pourras-tu recouvrer l’innocence ?
Tu seras peut-être seul, mais pas pour longtemps. N’aie pas peur
pour elle non plus. Inscrivez cet homme : sans enfants,
quelqu’un qui n’a pas réussi en son temps.
Extrait de Contradictions, roman de Frédéric Gournay