mercredi 17 février 2016

Contradictions - Nouvel extrait




        Mais l'époque où tout était intimement lié ? C’était quand ? Te rappelles-tu ? Lorsque tu étais enfant ? Que tu observais le papillon sur la fleur ? Le soir allongé sous les arbres en contemplant le ciel étoilé ? Lorsqu’on te racontait des histoires ? Pendant la Renaissance ? En Italie alors ? La première fois que tu es tombé amoureux ? Saoul avec les amis ? Du temps des Grecs ? Quand Hercule terrassait le centaure ? Tu avais quel âge ? En quel siècle était-ce ? Rappelle-toi, c’était avant que tout ne soit séparé, toi et le monde, toi et les autres, toi et la vie. Il n’y avait ni maîtres ni esclaves, la vérité n’était pas à vendre. Le labeur et le bruit, les guerres et l’Histoire ont depuis soulevé une poussière qui a tout recouvert. Abandonne tes pensées timides et mortelles, tes réflexions instables, une tente d’argile alourdit ton esprit aux multiples soucis. Au cœur de ton destin malheureux, il t’est donné de recouvrer ça, de rassembler ce qui a été désuni, de retrouver ce qui a été perdu. Oublie la douleur, la fatigue et l’ennui. N’aie pas peur, garde courage, ne lâche pas ma main. La sagesse crie, avant la gloire, il y a l’humilité : en avant pour la gloire. Regarde, la malédiction change déjà de visage. Tu es ici. Je suis là. Tu peines, te fatigues et te hâtes, pour n’être que mieux distancé, tu fuis alors que personne ne te poursuit. Partout l’amour du néant et la course au mensonge. Ces pensées ne sont pas tes pensées, ces voies ne sont pas tes voies. Ce que tu n’as pas pris, devras-tu le rendre ? Tu te croises les bras et te dévores toi-même. Tromperie que la grâce ! Vanité, que le la beauté ! Pour se divertir on fait un repas, le vin réjouit les vivants et l’argent a réponse à tout. Je suis noire et pourtant belle, ne prenez pas garde à mon teint basané, c’est le soleil qui m’a brûlée. Dans l’éternité, ceinte de la couronne, elle triomphe, pour avoir vaincu dans la lutte, dont les prix sont sans tache. Les idolâtres ont décidé que notre vie était un jeu d’enfant, notre existence une foire à profits, il faut gagner, disent-ils, par tous les moyens, même mauvais. Je regarde : personne pour m’aider ! Je montre mon angoisse : personne pour me soutenir ! Alors mon bras est venu à mon secours, c’est ma fureur qui m’a soutenu. Jusqu’à quand ne pourras-tu recouvrer l’innocence ? Tu seras peut-être seul, mais pas pour longtemps. N’aie pas peur pour elle non plus. Inscrivez cet homme : sans enfants, quelqu’un qui n’a pas réussi en son temps.




Extrait de Contradictions, roman de Frédéric Gournay
Paru aux éditions de L'irrémissible
http://www.frederic-gournay.com