La
pochette de l’album l’indique clairement : Radiohead se
situe avec son enfant alpha « à
six mille pieds au-dessus de la mer et bien au-delà de toutes choses
humaines »,
dans des hauteurs glacées et volcaniques dont parle Nietzsche pour
décrire le vrai lieu des créateurs : dans la plus grande
solitude et à la limite de l’asphyxie, mais avec quel aplomb et
quelle profondeur de vue. Musique ambiante animée de groove pâle,
presque anémié, techno rugueuse aux effets minimalistes,
arrangements classiques et instruments empruntés à la musique
contemporaine ; le groupe exploite ici des tessitures musicales
plus ambitieuses, expérimente des textures tonales inédites et
réalise ainsi des sculptures sonores audacieuses dont les tonalités
affectives ne sont pas sans rappeler la peinture émotionnelle de
Rodko, son calme apparent et sa sourde violence contenue.
Palpitations fragiles, voix presque désincarnée, gagnant ainsi en
supplément d’âme ; cuivres incongrus, fanfare sarcastique
soulignant l’absurdité du monde ; valse immobile chantant
l’envie de disparaître ; plages atmosphériques consolant à
peine : tout évoque ce retour à l’enfance à volonté dont
est capable Thom Yorke, dans des chants aux réminiscences angoissées
de réclusion forcée ou choisie. Radiohead s’écoute donc toujours
autant avec le ventre, cœur pour eux de toutes les indigestions
existentielles, mais ouvrant cette fois-ci la tête à des espaces
infinis qui n’ont pour le coup rien d’effrayant.
Extrait de Chroniques des années zéro, de Frédéric Gournay
recueil d'articles publiés sur le net, à paraître prochainement
aux éditions de L'irrémissible
(www.frederic-gournay.com)