mercredi 11 novembre 2015

Taxe Tobin : Néo-libéraux et Extrémistes de gauche main dans la main


         A priori sympathique, ce projet d’une taxe mondiale sur la spéculation qui veut prendre aux riches pour donner aux pauvres pourrait avoir des effets désastreux sur l’économie des pays en voie de développement. Surtout, elle ne pourrait être qu’une hypocrisie supplémentaire, la énième mesure cynique d’Occidentaux désireux de se donner bonne conscience à peu de frais.

    L’idée semble excellente et tout à fait louable. Imaginée par le prix Nobel James Tobin au début des années soixante et reprise il y a deux ans par Le Monde diplomatique, elle propose de « moraliser » les marchés financiers et surtout les marchés de changes (autrement dit la spéculation sur les monnaies) en taxant toutes ses transactions de 0,1%. Deux effets bénéfiques à ce faible impôt boursier : il permet d’abord de limiter les circulations de capitaux indésirables qui « jouent » avec les monnaies de pays économiquement les plus vulnérables (plus fréquentes, elles seraient plus « taxées »), ensuite de tirer un profit substantiel de ces échanges, estimé à quelques 150 milliards de dollars par an, que l’ont pourrait précisément redistribuer à ces pays pour leur développement. Quand on sait que le Sommet de Copenhague avait chiffré à 125 milliards le coût d’un programme d’éradication de la pauvreté dans le monde…
Les uns contre les autres
    Les différentes crises économiques graves de ces dernières années et les conséquences aussi dramatiques que concrètes qu’elles ont eues sur les populations d’Amérique du Sud ou d’Asie du Sud-Est ont en effet mis à mal le principal dogme du néo-libéralisme – à savoir que la liberté totale des mouvements de capitaux engendrerait la prospérité universelle – et ont en fait douter plus d’un, y compris jusqu’à Davos. La taxe Tobin apparaît donc depuis quelque temps comme la solution parfaite, réclamée autant par l’extrême gauche que par des États ou des banques soucieuses de leur « responsabilité citoyenne » (on a vu ainsi la création de « sicav-éthiques. ») Anciens marxistes et néo-libéraux n’ont eu aucun scrupule à se retrouver ensemble sur l’idée. Peu importe que les boursicoteurs se mettent à appeler de leurs vœux une volonté politique commune pour mettre en place une telle taxe au niveau international, ou que les gauchistes en appellent à l’économie de marché pour résoudre un problème politique. Non-interventionnistes et étatistes se retrouvent finalement main dans la main. De vrais mondialistes, en somme.
L’aumône Monseigneur…
     Non seulement il est surprenant de voir des personnes décriant l’économie de marché attendre d’elle qu’elle apporte des solutions (et finalement reprendre l’argumentaire principal de leurs ennemis qui consiste à soutenir que plus le gâteau est gros et plus les miettes seront conséquentes), il est également drôle de voir ces néo-libéraux se découvrir soudainement une conscience morale et politique. Mais que les uns finissent par légitimer une pratique en voulant la taxer (comme l’État français légitime la prostitution en imposant les prostituées sur leurs revenus …) ou que les autres rentrent en contradiction avec eux-mêmes (l’économie ne s’épanouit que si elle est libre ; il faut la contrôler), là n’est pas le plus déconcertant. Le plus troublant dans cette affaire est ce curieux regard qu’ils partagent sur la « misère. »
La charité plutôt que la justice
    Paternalistes ou néo-colonialistes, ces Occidentaux s’accordent à remédier à la misère par une vulgaire obole qui devrait suffire à résoudre tous les problèmes, que ce soient la pauvreté, le sida, l’illettrisme, etc., et à déposséder ainsi les gouvernements de leurs responsabilités politiques. Le problème étant purement économique, la solution doit l’être aussi. On jette des pièces, on détourne les yeux et finie la culpabilité. Qu’importe les causes, ou que le remède soit pire que le mal, l’essentiel est de se donner une bonne conscience à 0,1%. Pourtant, on le sait depuis longtemps, l’aide financière n’offre aucune solution durable à des problèmes structurels, elle est même parfois dangereuse (on en a eu l’exemple avec les surplus de productions céréalières américaines inondant « généreusement » l’Afrique et faisant s’effondrer l’économie locale) et surtout elle légitime une situation qu’elle prétend combattre en la promouvant. Enfin, n’oublions pas que ces pays la plupart du temps ne réclament pas l’aumône, mais exigent des rapports économiques Nord/Sud plus équitables. « Trade but not aid » est d’ailleurs leur devise. Ce n’est pas la panacée à l’horreur économique, mais c’est toujours mieux que l’« Aid but not fair » de la taxe Tobin.



Extrait de Chroniques des années zéro de Frédéric Gournay
à paraître prochainement aux éditions de l'Irrémissible