mercredi 4 novembre 2015

Comment je suis devenu terroriste grâce à Internet




        Il y a des matins comme ça où l’on a envie de tout foutre en l’air, de tout faire sauter et d’endosser, pour changer, le destin tragique d’un homme d’une seule idée. Seulement voilà, se faire le héros d’une cause martyre, ce n’est pas à la portée de tout le monde. Heureusement, grâce à Internet, n’importe quel Occidental comme moi un peu déprimé et bouffi de remords tiers-mondistes peut devenir, en quelques clics, un dangereux ennemi public numéro 1.
    La cause, je la chercherai plus tard, ce n’est pas le choix qui manque (la lutte contre le Grand Capital, la libération de la Palestine, de l’Irlande du Nord, du Pays Basque espagnol, du peuple Tchétchène, je trouverai bien.) L’essentiel, c’est d’abord de s’initier aux techniques aguerries des combattants de l’ombre et de rentrer ainsi dans le cercle restreint des poseurs de bombes qui font trembler les grands états et les polices du monde entier. Je me connecte sur Internet et tape sur mes différents moteurs de recherche les mots « Bombe, terroriste, anarchie » ; le résultat ne se fait pas attendre, plus de 80 références apparaissent (à ce moment précis, je suis peut-être en train d’être repéré par la NSA, quel pied !) Pressé, je jette mon dévolu sur le premier site, nommé « Anarchie Divine », des mystiques de la révolution. On y cite A. Bierce, Tolstoï, les nihilistes russes. Enfin des criminels cultivés ! Dans mes bras, mes nouveaux amis. Très vite, je passe les différents slogans et autres discours idéologiques gonflants et parviens à une liste exhaustive des armes indispensables à la lutte armée. Très bien faite, avec les références précises, avec le rapport qualité/prix, les éventuels réseaux d’approvisionnement, etc. Le Derringer, légal, est à 60 euros (pas cher), le Python.357 à 120 euros (une affaire), le bon vieux UZI à 150 euros et le AK-47 à 170 euros ; notre Famas national est à moins bon marché, à 1500 euros, et l’on trouve même un bazooka (hors de prix) ainsi que des missiles antichars Milan à 4000 euros pièce (quand même) suivi… d’un lance-pierre et d’une fronde à 50 euros. Qu’est-ce que cette connerie ? Et merde, trop hâtif, je n’avais pas vu que j’étais connecté à un jeu, un de ces jeux de rôles à la con pour révoltés virtuels.
Attention, ceci n’est pas un exercice
    Plus attentif cette fois-ci et plus résolu que jamais, j’opte sur un site publiant l’intégral du Terrorist Handbook, fameux bouquin d’un anonyme pas publié qui nous explique pour de vrai comment fabriquer des explosifs, de l’enfantin cocktail Molotov à la bombe au Pyrodex, en passant par la bonbonne de gaz au propane (« ligth the fuel and run ».) On y trouve la liste détaillée des produits chimiques et des différentes poudres disponibles sur le marché (acide sulfurique, chlorate de potassium, acétylène, hydrogène, nitrocellulose et autre R.D.X), les doses précises et les recommandations de manip’ pour ne pas que ça vous pète à la gueule. On peut également avoir des informations sur les armes et sur leur potentiel destructeur, et s’entendre confirmer ce que l’on savait déjà, à savoir que les canons et les roquettes sont très durs à trouver et, de toute façon, hors de prix. Il y a même la Checklist (acide nitrique, sulfurique, éthanol 95 %, etc.) pour les braquages de pharmacies. Putain, c’est du sérieux. Limite, ça fout la trouille. Je finis par me demander si je désire vraiment tuer des personnes et éventuellement finir le reste de ma vie en prison. Et puis la poudre et l’artisanat, c’est quand même un peu ringard.
Et si je posais des bombes informatiques ?


    Certes, plus lâche et moins glamour, la bombe informatique n’en demeure pas moins un instrument redoutable de destruction et un moyen de chantage tout à fait crédible. Il suffit pour cela de se procurer certains CD-ROM ou de télécharger les programmes par le Net ; ça s’appelle Internet Interdit, Group 42, X-files, Hackers ou Underground et ça vous explique pédagogiquement (même un débutant comme moi peut s’y mettre) comment ôter la protection des logiciels protégés, pénétrer des réseaux, pirater des lignes téléphoniques, créer des fausses cartes de crédits ou protéger des messages secrets et surtout, le plus important, comment fabriquer et propager des virus informatiques. Je vais enfin devenir un grand terroriste, sans verser une goutte de sang. Manque de bol, en téléchargeant l’un de ces programmes, un virus s’est introduit et a planté mon système et effacé mon disque dur… Il y a des matins comme ça où l’on ferait mieux de se recoucher.




Extrait de Chroniques des années zéro de Frédéric Gournay
à paraître prochainement aux éditions de l'Irrémissible