Bien
sûr le tas de merde prétentieuse, président de ceci et grand
responsable de cela, des filles cannées, il n’en parle jamais.
C’est lui la victime. On a voulu briser sa carrière. Les putes qui
sont mortes, rien à foutre !
On
ne peut pas vivre d’amour et d’eau fraîche ! Ton père
n’était pas bagarreur. Je l’ai foutu dehors… Je ne
supportais plus son sens de l’humour ; cette façon qu’il
avait de tout prendre à la légère.
J’imagine
que tu as raconté à tous tes copains que ta mère était pute.
Tu
crachais sur Walt Disney et tu défendais Lumumba. Mon père, ça le
rendait mûr. Lumumba et Mulélé ! Mon père te disait que
Lumumba avait volé un vélo à la poste où il travaillait, et toi
tu lui répondais que les Belges avaient volé au Congo de quoi
fabriquer des millions de vélos…
En
1986, à Montigny-lès-Metz, des gosses lui jettent des pierres ;
Heaulme leur fracasse le crâne. Patrick Dils, seize ans au moment
des faits, est condamné à la prison à perpétuité.
Les
hommes, suffit de les flatter. Si tu suces, fais-le devant un
miroir ! Plus tu la joues impressionnée, plus ils jouissent
vite et sont contents. S’il bande, s’il ne bande pas,
s’il jouit trop vite, s’il ne jouit pas, s’il se
cramponne, c’est à toi de trouver la faille et de la reboucher.
Faut les rassurer. Bien sûr vaut toujours mieux les laver avant ;
l’hygiène c’est pas leur fort…
A
la veille du Nouvel An 1986, dans la banlieue de Metz, Heaulme est en
cure de désintoxication, il trouve deux complices dans
l’institution, complices qui violent Annick Maurice,
vingt-six ans, avant que lui ne la frappe et l’étrangle.
La
vie est mal faite, toi tu te plains de ne pas avoir eu de père et
moi j’ai si souvent rêvé de ne pas en avoir un. Il m’a envoyé
travailler à l’âge de seize ans ; je ne sais pas si tu te
rends compte. Et à l’Innovation, dans le grand magasin où ils
travaillaient tous les deux ! La joie que c’était. Il me
fliquait à la maison et au boulot !
Dany
avait un regard à la Robert Mitchum qui me liquéfiait sur place.
En
1988, à Charleville-Mézières, surpris en train de fouiller une
maison, Heaulme tue Georgette Manesse, 86 ans, et poignarde cinquante
fois sa voisine, Ghislaine Ponsard, 81 ans. Pour lui, jeune ou vieux,
ça ne fait aucune différence. Il est énervé, il est mal à
l’aise, il tue…
Walter
aimait les grandes tablées mais il fallait que tout le monde soit
impeccable. Les ongles noirs, sales, lui coupaient l’appétit,
comme moi pour le bruit que tu fais avec ta fourchette contre tes
dents quand tu baffres comme un malpropre.
Ma
mère répétait qu’elle aurait aimé être institutrice. Comme
toutes les petites filles… Eh oui, toute sa vie elle restée une
gamine terrorisée.
Et
Djamel, le travelo qui se suicide en prison, comment y croire ? Ce
que Patricia raconte, le collier étrangleur et les canettes dans le
derche, qu’est-ce que ça a d’exceptionnel ? Rien !
C’est ce qui fait fantasmer un mec sur deux. Comment cela a-t-il pu
finir comme ça en eau de boudin. Pour une fois que des gendarmes
croyaient des putes !
En
avril 1989, à Port-Grimaud, il sort d’un HP avec un infirmier qui
viole Joris Viville, dix ans. Heaulme assassine ensuite le petit de
quatre-vingt coups de tournevis. L’infirmier, connu des services de
police, est toujours en liberté. Ils n’ont aucune preuve contre
lui…
On
a eu le Tabouret, le Memphis, le New York, mais
on voulait vivre comme les autres alors j’ai pris une place
d’entraîneuse à Erps-Kwerps comme ça je ne travaillais pas le
week-end et on pouvait enfin se voir un peu. C’est à ce moment-là
que tu t’es barré pour vivre avec Nicole.
En
rentrant, Heaulme avoue ce meurtre à une infirmière. Elle le note
sur la main courante. Secret professionnel et routine
aidant, il n’y aura aucune suite à cet aveu ! Alors, il
continue…
À
chaque manifestation qu’elle croisait, ma mère pleurait toutes les
larmes de son corps. Ça lui rappelait sa jeunesse… Les grandes
grèves. Pas moi. Je ne montre pas mes sentiments en public.
Hadja,
vingt-six ans, est retrouvée avec une couche culotte pliée dans la
bouche, une corde à rideau nouée autour de son cou. Sa carotide a
été tranchée par un couteau de cuisine. Le médecin légiste
conclut au suicide !
Toi,
tu avais planté et repiqué des salades, tu les offrais à Mamy et
Parrain. Tu en étais si fier ! C’était sain : vous
étiez tous égaux, tous pareils, tous traités de la même façon,
en uniforme, en pantalon de velours bleu et en chemise de coton bleu
foncé. Mamy cousait ton nom sur chacune de tes affaires. Sur ton
béret basque, sur ta pèlerine, sur tes grosses chaussettes grises.
Je
nourris tous les chats du voisinage. J’achète un gros carton de
boîtes et un maxi sac de croquettes par semaine. Attention, pour
eux, je ne prends que l’excellent, du Whiskas ou du Ronron, jamais
rien en dessous de cela. Je les soigne mieux que je me soigne
moi-même ; pour eux pas de produits blancs !
Chaque
fois qu’on croisait un fourgon blindé, Dany me répétait : -
Si je m’étais fait celui-là, Yves ne rentrerait pas en stop à
Paris. Dès la première fois, tu lui avais bien plu. Il avait ouvert
la porte et tu lui avais dit : Salut ! Je suis le fils de
ma mère…
En
juillet 1989, Sylvie, trente ans, le prend en stop. Elle est
saoule, elle roule à gauche, le ton monte. Heaulme se met en colère,
la gifle puis la tue à coups de pieds et à coups de poings.
Tu
faisais des dessins d’architecture utopique, des villes qui
marchaient, des villes sur l’eau, des villes sous l’eau, des
bâtiments-rues, des mondes souterrains, des villes spatiales, des
villes mobiles, des villes-pont, des villes flottantes, des villes
automatiques, des villes informatiques. Tu ne plagiais plus
Vlaminck, tu étais devenu situationnistique !
J’ai
commencé à bosser à l’Innovation à seize ans. J’en suis
partie un an plus tard, un jour qu’ils me chiaient tout un bahut
Henri IV pour dix centimes qui manquaient dans la caisse. Mon père a
eu beau me menacer tout un week-end, je n’y suis pas retourné. Là,
je peux te dire que ça a bardé sec !
Yves
Tenret, Maman, Éditions de la Différence