mercredi 2 septembre 2015

Maman - troisième extrait






Bien sûr le tas de merde prétentieuse, président de ceci et grand responsable de cela, des filles cannées, il n’en parle jamais. C’est lui la victime. On a voulu briser sa carrière. Les putes qui sont mortes, rien à foutre !

On ne peut pas vivre d’amour et d’eau fraîche ! Ton père n’était pas  bagarreur. Je l’ai foutu dehors… Je ne supportais plus son sens de l’humour ; cette façon qu’il avait de tout prendre à la légère.

J’imagine que tu as raconté à tous tes copains que ta mère était pute.

Tu crachais sur Walt Disney et tu défendais Lumumba. Mon père, ça le rendait mûr. Lumumba et Mulélé ! Mon père te disait que Lumumba avait volé un vélo à la poste où il travaillait, et toi tu lui répondais que les Belges avaient volé au Congo de quoi fabriquer des millions de vélos…

En 1986, à Montigny-lès-Metz, des gosses lui jettent des pierres ; Heaulme leur fracasse le crâne. Patrick Dils, seize ans au moment des faits, est condamné à la prison à perpétuité. 

Les hommes, suffit de les flatter. Si tu suces, fais-le devant un miroir ! Plus tu la joues impressionnée, plus ils jouissent vite et sont contents.  S’il bande, s’il ne bande pas, s’il jouit trop vite, s’il ne jouit pas, s’il se cramponne, c’est à toi de trouver la faille et de la reboucher. Faut les rassurer. Bien sûr vaut toujours mieux les laver avant ; l’hygiène c’est pas leur fort…

A la veille du Nouvel An 1986, dans la banlieue de Metz, Heaulme est en cure de désintoxication, il  trouve deux complices dans l’institution, complices qui  violent Annick Maurice, vingt-six ans, avant que lui ne la frappe et l’étrangle.

La vie est mal faite, toi tu te plains de ne pas avoir eu de père et moi j’ai si souvent rêvé de ne pas en avoir un. Il m’a envoyé travailler à l’âge de seize ans ; je ne sais pas si tu te rends compte. Et à l’Innovation, dans le grand magasin où ils travaillaient tous les deux ! La joie que c’était. Il me fliquait à la maison et au boulot !

Dany avait un regard à la Robert Mitchum qui me liquéfiait sur place.

En 1988, à Charleville-Mézières, surpris en train de fouiller une maison, Heaulme tue Georgette Manesse, 86 ans, et poignarde cinquante fois sa voisine, Ghislaine Ponsard, 81 ans. Pour lui, jeune ou vieux, ça ne fait aucune différence. Il est énervé, il est mal à l’aise, il tue…

Walter aimait les grandes tablées mais il fallait que tout le monde soit impeccable. Les ongles noirs, sales, lui coupaient l’appétit, comme moi pour le bruit que tu fais avec ta fourchette contre tes dents quand tu baffres comme un malpropre.

Ma mère répétait qu’elle aurait aimé être institutrice. Comme toutes les petites filles… Eh oui, toute sa vie elle restée une gamine terrorisée.

Et Djamel, le travelo qui se suicide en prison, comment y croire ?  Ce que Patricia raconte, le collier étrangleur et les canettes dans le derche, qu’est-ce que ça a d’exceptionnel ? Rien ! C’est ce qui fait fantasmer un mec sur deux. Comment cela a-t-il pu finir comme ça en eau de boudin. Pour une fois que des gendarmes croyaient des putes !

En avril 1989, à Port-Grimaud, il sort d’un HP avec un infirmier qui viole Joris Viville, dix ans. Heaulme assassine ensuite le petit de quatre-vingt coups de tournevis. L’infirmier, connu des services de police, est toujours en liberté. Ils n’ont aucune preuve contre lui…

On a eu le Tabouret,  le Memphis,  le New York, mais on voulait vivre comme les autres alors j’ai pris une place d’entraîneuse à Erps-Kwerps comme ça je ne travaillais pas le week-end et on pouvait enfin se voir un peu. C’est à ce moment-là que tu t’es barré pour vivre avec Nicole.

En rentrant, Heaulme avoue ce meurtre à une infirmière. Elle le note sur la main courante. Secret professionnel  et routine aidant, il n’y aura aucune suite à cet aveu ! Alors, il continue…

À chaque manifestation qu’elle croisait, ma mère pleurait toutes les larmes de son corps. Ça lui rappelait sa jeunesse… Les grandes grèves. Pas moi. Je ne montre pas mes sentiments en public. 

Hadja, vingt-six ans, est retrouvée avec une couche culotte pliée dans la bouche, une corde à rideau nouée autour de son cou. Sa carotide a été tranchée par un couteau de cuisine. Le médecin légiste conclut au suicide !

Toi, tu avais planté et repiqué des salades, tu les offrais à Mamy et Parrain. Tu en étais si fier ! C’était sain : vous étiez tous égaux, tous pareils, tous traités de la même façon, en uniforme, en pantalon de velours bleu et en chemise de coton bleu foncé. Mamy cousait ton nom sur chacune de tes affaires. Sur ton béret basque, sur ta pèlerine, sur tes grosses chaussettes grises.

Je nourris tous les chats du voisinage. J’achète un gros carton de boîtes et un maxi sac de croquettes par semaine. Attention, pour eux, je ne prends que l’excellent, du Whiskas ou du Ronron, jamais rien en dessous de cela. Je les soigne mieux que je me soigne moi-même ; pour eux pas de produits blancs !

Chaque fois qu’on croisait un fourgon blindé, Dany me répétait : - Si je m’étais fait celui-là, Yves ne rentrerait pas en stop à Paris. Dès la première fois, tu lui avais bien plu. Il avait ouvert la porte et tu lui avais dit : Salut ! Je suis le fils de ma mère…

En juillet 1989, Sylvie, trente ans, le prend en stop. Elle est saoule, elle roule à gauche, le ton monte. Heaulme se met en colère, la gifle puis la tue à coups de pieds et à coups de poings.

Tu faisais des dessins d’architecture utopique, des villes qui marchaient, des villes sur l’eau, des villes sous l’eau, des bâtiments-rues, des mondes souterrains, des villes spatiales, des villes mobiles, des villes-pont, des villes flottantes, des villes automatiques, des villes informatiques. Tu ne plagiais plus Vlaminck, tu étais devenu situationnistique !

J’ai commencé à bosser à l’Innovation à seize ans. J’en suis partie un an plus tard, un jour qu’ils me chiaient tout un bahut Henri IV pour dix centimes qui manquaient dans la caisse. Mon père a eu beau me menacer tout un week-end, je n’y suis pas retourné. Là, je peux te dire que ça a bardé sec !



Yves Tenret, Maman, Éditions de la Différence