Février
1984
Ma
mère m’attendait le jour précédent. Je dis Non à sa
procuration. En dix minutes, elle me jette. Elle est vraiment au
centre de ma pulsion à tout repenser, à mon désir de renaissance.
Je ne connais pas la vengeance.
L’Abdominal
me décrit comme étant sans humour. Puis rien. Au physique,
passablement malade. Il était maussade parce qu’on venait de
braquer son appartement. De tout cela, je n’en pense rien. Les
vitrines m’attirent. Loïc dit que je n’ai pas envie d’écrire.
Mon foie… J’ai en tout cas envie de me faire branler mais
malheureusement même cela, ça doit se mériter.
Sera-ce
un jour un bide et ces trois poils, un souvenir sublimé ?
Arracher
tout avec la racine et devenir ultimement fin, élégant et subtil.
L’orientation
existentielle de Pajak l’oblige toujours à penser les autres en
termes de caractère. Plutôt que d’accepter de titiller le détail,
il faut attaquer l’orientation générale, refuser fermement ce
type de débat qui ne renvoie qu’à des angoisses
petites-bourgeoises – tout cela accentuant encore plus l’aspect
non-réalisé de l’époque dite du « Loto ». J’aime
penser. Le rêve m’épuise, m’avilit, élève mes impuissances à
leur propre auto-culte. Toute cette sensibilité dont je me gorge
tant n’est qu’économie, mensonge, raccourci hasardeux. N’est-ce
pas Mesdames, que j’ai raison ? Si je ne veux plus parler des
gens en leur absence, ce n’est pas pour une quelconque raison
morale, c’est parce que les gens ne m’intéressent pas. Ce qui
m’intéresse, c’est notre travail commun, nos travaux passés,
nos activités présentes, nos projets. N’empêche qui en a ? Faut
vraiment se les fader ! C'est dur !
Ma
conception des rapports humains n’est en rien utilitariste.
Néanmoins, ceci dit, elle n’est pas assez pratique !
Il
me faut renouer avec l’enfance, avec le temps où on ne disait
jamais Tu es qui toi ? mais toujours Qu’est-ce
qu’on fait ?
Ma petite Nora. Ô ma compassion !
Et ils t’ont insultée !
-
Mais enfin, je me sens mieux quand je pèse cinq kilos de moins
disais-tu.
Une
grande pècheresse…
-
Je ne mets pas le linge à tremper, ce sont les gens sales qui font
ça, disais-tu.
L’éternel
vivace leur pisse à la raie. Ton petit cul est serein. Nous nous
sommes tant frottés !
Au
départ, elle pose l’hypothèse de l’enfant trouvé. Nous étions
à Genève, tes longues jambes effilées. Difficiles besoins et
autres tartuferies. Embrasse-moi ! Encore ! Un mot
griffonné sur un ticket de métro. C’est fait, c’est fait et
aujourd’hui, elles lavent sans bouillir. Rohypnol. Un polaroïd du
personnage. L’exposé ciblé de la situation. Perd en sa morveuse
brutalité. Il se raisonne, elle a le vertige, il s’occupe. Elle
est performante, perforée et perforante. Grande pècheresse !
C’est trop donneur…
-
Je ne mets jamais le linge à tremper, disait-elle.
Ma
tendresse est terreur. Il n’a pas encore 16 ans qu’il jacte déjà
sentencieusement. Il doit se raccourcir. Échecs sur échecs,
exaltation morbide - tant de rendez-vous manqués. Mycose !
Décrire, c’est l’usine. Elle lave sa culotte.
-
Quand tu n’es pas là, tu me manques, dit-elle.
« La
surface des choses fait jouir, leur intériorité fait vivre ».
Piet Mondrian
Comme
la théorie de la relativité, le néoplasticisme n’avait pas pour
objet les formes et les corps, mais avec les forces, les énergies et
les relations.
Le
gros plan élimine les données pittoresques.
Capacité
peu commune à répéter sans cesse les mêmes expériences, à
garder intact sa capacité de déception. Il met tous ses enjeux dans
le corps à corps. Il s’agite. Il veut repeindre sa chambre en
rouge. Il est très nerveux, émotif, frileux.
Je
dis à Loïc :
-
La différence entre nous, c’est que nous rencontrons de nouvelles
personnes, c’est que tu te demandes ce qu’elles pensent de toi et
moi ce que je pense d’elles…
Avant
de partir, elle me frappe violemment sur la tête. Elle cherche à
dévaster la chambre. Elle hurle que personne ne s’occupe jamais
d’elle. J’essaye de la calmer. Elle hurle que je lui ai cassé le
pouce et qu’elle va se rendre volontairement à Sainte Anne pour se
faire interner. On se cogne dessus…
Pour
ce qui est de la piller, je la pille là. Je me noie dans toutes ces
humeurs et, fragile, je suis à la merci du premier connard venu.
Qu’elle me fasse ce qu’elle veut, tout, mais pas qu’elle me
fasse la gueule.
Elle
délire et je me sens mal. C’est précis, sec, réaliste. Je reste
assis, pris au piège, congelé. Drôle de livraison. Je reste
soumis. C’est intimidation sur intimidation et glapissements
constants. Voilà donc que pour pisser, je m’accroupis.
Il
est des matins où tout semble possible.
Comment
est-ce possible ? Je pourrais, sans hésiter une seconde,
l’étrangler pour qu’elle soit enfin à moi et rien qu’à moi.
Tant
d’actions obscènes pour qu’il décharge ! C’est tellement
inepte qu’il finit par s’en vouloir.
Mon
sexisme se résume à cet axiome : moins en a, plus on s’y
attache.
L’odeur
amère de la désuétude. Inexpressif et avide, je négocie…
Tension
et les couilles mobiles. La mienne impossibilité congénitale
d’imaginer le tragique. Jamais désenchanté, juste corporel,
affectueux et bête. Elle me pousse sous la porte cochère et
s’accroupit, de la main je lui enserre les cheveux.
Yves Tenret