mercredi 21 janvier 2015

Journal d'Yves Tenret - Annexes



Paris, août 1984


Trois tracts distribués au cours de la Conférence
de l’Institut de Préhistoire Contemporaine.



OBJECTIONS SUR LE FORME PRISE PAR LA CONFERENCE

Je n'accepte pas la tournure prise par la conférence.

Paul a décidé unilatéralement du but et de la forme de la conférence.

Unilatéralement en effet parce qu'il n'a pas proposé explicitement une direction et une forme, direction et forme mises librement en discussion devant la conférence, mais il a imposé cette forme et cette direction par une irritation, une mauvaise humeur et un comportement autoritaire dès que se manifestait une velléité d'une autre forme et d'un autre but de la conférence.

Je ne suis même pas opposé au but et à la forme imposés pour la conférence bien que ce but et cette forme ne m'enthousiasment pas. Je suis seulement opposé à la manière selon laquelle ce but et cette forme ont été imposés.

Il me semble que la première tâche de la conférence doit être au contraire, (surtout étant donné le statut flou de l'institut de préhistoire) doit être au contraire de déterminer son but et sa forme, avant toute chose.

Si on me demande de caractériser le but et la forme imposés à la conférence, je dirais que le but est : groupe d'étude de sujets précis proposés, et la forme : discussion assez scolaire, surtout d'un sérieux et d'un guindé inacceptables.

Si on me demande quelle forme je souhaite personnellement pour la conférence, je répondrais : le banquet de Xénophon, ce banquet où l'on voit Socrate se déclarer manifestement plus beau qu'Alcibiade.

Le caractère dominant de ce genre de banquet devrait être à mon avis le plaisir permanent que des gens (habituellement séparés par d'immenses distances et engagés cependant dans une tâche qui peut être commune) le plaisir permanent que ces gens ont à se retrouver, nonobstant les obstacles.

Les Athéniens du banquet de Xénophon pouvaient se voir tous les jours et cependant ils parvenaient quand même à faire le plus spirituel des banquets.

Jean-Pierre



OBJECTIONS SUR LA TOURNURE ACTUELLE DE LA CONFERENCE

L'assemblée existe, nous l'avons rencontrée dimanche et c'est encore son esprit qui s'est manifesté mardi sous la forme méconnaissable de conflits particuliers. Nous ne contesterons pas que Yves T. ait eu un premier moment de voyance au sens de Rimbaud, mais cela ne saurait excuser ni justifier les insultes proférées pour de mauvaises raisons envers nous. En effet Yves T. nous a insultés non pas en tant que pauvres mais en tant que Noirs, or le rôle du nègre dans le spectacle est précisément d'être un esclave soumis, servile et un peu con, il nous attaque donc pour ce que nous ne voulons plus être et ce faisant il met en cause la qualité de notre engagement. Il part d'un a priori – à savoir que tous les noirs sont les mêmes – pour nous insulter sans que ça ne scandalise certains partisans de la critique des a priori et on invoque le droit des pauvres à être racistes. Il est certain qu'il existe une manipulation de la question raciale par la chienlit socialeuse qui pourrait sembler justifier la revendication d'un droit au racisme mais il nous semble que derrière le racisme se cache une orthodoxie de la race c'est à dire un consensus implicite pour considérer certains pauvres inférieurs à d'autres. Nous sommes pour la pratique de l'injure, mais à condition que l'auteur les justifie publiquement et en assume toutes les conséquences. Il y a déjà quelque temps que les surréalistes ont revendiqué le rêve comme moment de la réalité, plus modestement nous revendiquons l'état d’ivresse comme moment réel de la vie d'un homme. Et ce d'autant plus que Yves T. était saoul de provocations et de lui même. Le vin ne donne pas d'idées à ce qui n'en ont pas. L'usage systématique de l'alcool comme explication de certains comportements nuit à la transparence des conflits et des accords. Nous sommes pour la guerre mais pas pour des fausses guerres, comme le serait une guerre raciale. Nous sommes très honorés que notre assemblée soit comparée à la démocratie grecque mais cette analogie ne nous est pas d'un grand secours pour ce qui est de la définition des pouvoirs réels de l'assemblée. Nous désapprouvons la comparaison soutenue publiquement, entre nous qui serions des citoyens et Yves T. qui serait le métèque, alors que c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Nous avons été indignés que Jean-Pierre ait prétendu l'inverse, pour passer sous silence les véritables raisons du pugilat. Nous récusons de la même façon les explications psychologiques selon lesquelles la violence de la réaction de l'assemblée s'expliquerait par des penchants secrets de cette assemblée dont Yves T. aurait été le révélateur. Nous récusons le point de vue selon lequel tant l'attaque que la réaction à l'attaque auraient été identiquement misérables.
Un principe élémentaire de démocratie veut que les citoyens soient égaux devant l’assemblée : ce qui est exigé des uns comme clarté, précision et justification doit aussi valoir pour les autres. Le système deux poids/deux mesures que nous avons observé hier à l'œuvre nous rappelle trop la démocratie du vieux monde pour que nous nous taisions. Nous ne pensons pas qu'il existe de hiérarchie naturelle mais quand bien même ce serait le cas il serait impensable que le négatif à l’œuvre dans cette assemblée ne la travaille pas.

À BAS L'IMPLICITE, VIVE L'EXPLICITE !

Kader, Ousmane et Paola



POUR NOUS

Pour nous, l'assemblée n'est pas fondée. Tant que nous sommes là elle ne peut exister. Notre présence est obstacle à l'unanimité. Nous nous opposons à toute forme d'unanimité. Maintenant toute unanimité suppose le maintien d'implicites. Supposer qu'il y a une démocratie ici c'est accepter qu'elle puisse l'être implicitement. Il nous paraît que la démocratie est ici un "ça va de soi", accompagnée de ses velléités de votes, de ses droits divers et d'un possible tribunal. La proposition de Pierre d'une critique de la démocratie est stimulante. La démocratie n'existe pas. Pour l'instant, partout, donc ici, elle n'est qu'un préconçu idéologique et formaliste. Une assemblée qui se prétend telle ne peut résoudre les conflits d'une prétendue assemblée, pas plus qu'elle ne peut ramener à elle des conflits de personne à personne. L'assemblée ne peut demander la réparation d'un tort tant qu'elle n'existe pas. Mais tant que le préconçu de l'assemblée existe les conflits peuvent être utilisés comme instruments de pouvoir sur la confrontation. La mauvaise foi repose sur l'implicite de l'assemblée et vice-versa. Ainsi que l'a souligné Yves T. le premier vote fut une question de police.
Contrairement à ce qu'a dit Raphaël désignant le plafond, pour nous il n'y a pas le monde et nous. À l'étage il n'y a ni ciel politique ni cité religieuse. Nous n'attendons pas de rédemption et ne sommes ni purs ni rachetables. La confrontation telle qu'elle s'est préconçue en assemblée a également supposé l'identité individuelle. Les conflits sur la question raciale se sont posés en termes d'identité. L'assemblée comme devenir, donc comme création, ne peut que se manifester comme division perpétuelle et réflexion incessante sur cette division. L'identité comme préconçu ou comme résultat est ennemie de la division. Les interventions de Cheikh et de Pierre relancent la confrontation sur l'identité. Nous sommes là pour nous diviser. Nous sommes là pour la division. Nous sommes là pour l'exacerbation de la division.

Françoise, Frederik, Marcel, Yves T.


POST-SCRIPTUM

Le lendemain de notre arrivée, nous avons compris que la confrontation était ouverte à d'autres personnes. C'est pourquoi nous avons invité Yves T., pensant que la générosité contradictoire entre nous quatre pouvait être élargie. Nous sommes heureux que cette générosité ait pu être partagée par quelques-uns.

Maintenant, Maria a désigné Yves T. comme l'ennemi. Il n'a pas été discuté d'un préconçu ou d'un résultat de l'amitié. Jean-Pierre néanmoins a soulevé pour lui-même la question de l'amitié comme résultat. Pour nous, l'amitié n'est pas un "ça va de soi". Nous ne pensons pas qu'hier une prétendue assemblée ait parlé d'elle-même mais plutôt que différentes personnes ont essayé d'instaurer un tribunal sans aucune conviction. Nous ne sommes pas les amis des lyncheurs. Nous estimons qu'Yves T. en revenant hier, tout comme Kader, a été bon joueur. Nous sommes contre l'organisation. L'organisation se construit sur l'exclusion. Nous sommes contre toute exclusion.