vendredi 31 octobre 2014

Quand j'étais une putain

  

       Elle m'a transpercée. A travers ma gorge, des mots heurtés, l'exultation de la syllabe crachée, son nom honni offert. Elle m'a trahie et elle a suppuré de moi. J'étais encore jeune. Mon amour pour elle bafoué. Jeté dans la boue, à la figure des chiens. Elle a débordé de mes yeux et de mes plaies en fluide misérable pendant que la regardait me tendre son piège. Et je n'ai rien dit : Je ne pouvais rien dire, comprends-tu cela ? On dit que l'amour rend aveugle, eh bien j'avais perdu la vue et le son. J'ai perdu le toucher des étoffes précieuses et des peaux chaudes. Je n'avais le droit qu'à elle, qu'à son odeur métallique, clinique presque. Qu'à son image blanche, fantomatique, dressée devant mes pupilles comme un drapeau fantôme. Je n'avais le droit qu'à son corps doux, mais amorphe.
    
    Je n'ai pas vu dans sa main tendue la faux que lui avait prêtée son amante, je n'ai pas vu son sourire, écœurant de promesses factices, que j'avais pris pour des serments. Et je l'ai aimée, de toute la force de mes bras que j'ai usés à la tâche, de toute la candeur de ma croyance enfantine, de toute la maturité dont j'étais alors capable. Pour elle, je me suis prostituée cent fois et je suis morte à mille reprises. Pour elle, je suis descendue dans les bas-fonds, je ferme les yeux sur les ruelles noires de corbeaux et de vautours. Pour elle, j'ai côtoyer des cadavres, pour elle j'ai tué et pour elle aujourd'hui encore je suis prête à n'importe quoi.
    
    Elle m'a rendu un pauvre sourire, et à toutes mes faveurs, elle a répondu par une salve éphémère de plaisir fulgurants, un éclair de lumière qui m'a éclaté au visage, un orgasme violent et irréel. Ce qu'elle m'a donné, pendant de courtes secondes, c'est le bonheur, l'intensité jouissance immédiate, la torture de l'exaltation, le supplice balbutié. L'entrechoquement erratique de son érotique personne au milieu de mon ventre abandonné. Quand elle s'est agenouillée, là, en moi, au creux de ma poitrine, quand elle a explosé en millions de parcelles de lumière pure qui se sont fichées sur les parois de mon intimité suppliante, quand j'ai vu en elle le triomphe de sa victoire, quand mes doigts se sont crispés et quand mon dos s'est arqué pour ne plus former qu'une flèche vibrante, j'ai été heureuse, pleinement, douloureusement, rageusement heureuse. Mon corps a demandé plus; il a supplié et elle a daigné lui accorder une nouvelle rafale de noirceur pour laquelle j'ai tremblé. Je me suis mue en elle, j'ai été elle, elle s'est introduite en moi, m'a transpercée, fouillée, foudroyée. Asservie. Puis, l'aiguille a quitté mon bras, et de son chemin en moi il n'est resté que la trace voluptueuse de son infime présence. Je me suis tue.

    La balafre de son nom blafard est restée en travers de mes doigts comme une preuve
  


                                                                                        Nina Faber