mardi 2 juin 2020

Le monde de demain




        Funky Monks résonne, je tape des mains, pousse un cri de joie et emmène Ben par l'épaule à l'intérieur du bar, je commande au serveur une flasque de Mekhong, le whisky thaï, que je ne connais pas mais que je compte bien descendre avec mon pote Ben. Mélangé au coca, le Mékong se révèle surprenant, l'album des Red Hot défile, je me mets à rêver tout haut, tu vois Ben, c'est comme Chad Smith que j'aimerais taper un jour, je m'y emploie du mieux que je peux, mais c'est d'un niveau… Cet hiver, j'ai intégré une nouvelle formation, appelée E 330, suite à la séparation du groupe que nous formions avec James, Fabrice et Xaver, James ayant voulu virer Fabrice et m'y étant opposé, cela a mis de facto fin à l'aventure. E 330 est un groupe qui a un manager, un camion et qui part en tournée ; j'ai dû apprendre vingt-deux morceaux en trois semaines, avec des rythmes parfois très compliqués, comme des trois temps alternés avec des cinq temps, des breaks improbables ; hélas, la veille du premier concert que je devais faire avec eux à Verneuil, le groupe a splitté, le chanteur et le guitariste ne tenant plus à jouer ensemble, sans que j'arrive clairement à savoir pourquoi. La fin de mon premier groupe m'avait moins affecté : James était trop rock'n'roll à mon goût, très années 50-60, alors que j'aspire naturellement à jouer la musique qui se fait aujourd'hui. Outre les Red Hot, Ben et moi sommes fans de groupes tels que Fishbone, Urban Dance Squad, Jane's Addiction, du mouvement musical qu'on appelle fusion qui mélange, au creuset d'une rythmique puissante et millimétrée, tous les styles – la Mano Négra en France, qui s'en réclame, nous fait tout simplement pitié. Quant à Noir Désir, ils n'ont plus rien fait depuis des plombes ; leur dernier album, Du Béton Sous Les Plaines, est vraiment à chier, l'écriture est pourrie – où sont passées les fulgurances de Veuillez Rendre L'âme ? – truffée de clichés et de mauvais jeux de mots : le niveau zéro de la poésie.

    Nous avons bien essayé, avec Gilles et Xaver, d'en faire, du rock français, engageant pour l'occasion Hugo, le king du zinc, dont la tête à la Mick Jagger, la grande gueule, la voix puissante et l'écriture littéraire nous ont paru idéales pour le poste de chanteur, tentant ensemble d'allier le meilleur de la musique anglo-saxonne – la haine de la variété nous lie à jamais – et la plus haute qualité des textes de la chanson française, Gainsbourg en tête – Cantat se revendique bien de Brel. Nous nous sommes appelés Guignol's Band, en hommage à Louis-Ferdinand Céline, dont nous reprenons sur scène une des chansons, Règlement, mais le rythme soutenu des répétitions, la discipline et la rigueur ont échappé à Hugo, préférant l'alcool au travail, le bar au studio, arrivant en retard ou ratant les sessions, se chargeant de lui-même de mettre fin au groupe avant que nous prenions l'initiative de le virer. Ben, de toute façon, n'a jamais pu blairer le rock français, pas plus Noir Désir que Téléphone ; le seul groupe d'expression française qu'il respecte et qu'il ne peut s'empêcher d'admirer – même s'il se méfie des racailles – est NTM, dont j'ai dû être l'un des tout premiers à acheter l'album Authentik le jour de sa sortie l'année dernière, ce qui m'a valu nombre de railleries de la part de mes amis, musiciens ou non, les mêmes qui s'étaient foutu de ma gueule quand je me suis mis à écouter de la techno, Pierre le premier et pas le moins méchamment. NTM rassemble Joey Starr et Kool Shen, un Noir et un Blanc, l'agressivité de Public Enemy et la soul des années soixante-dix, comme la fusion que nous aimons tant unit sans distinction ni hiérarchie la musique noire et la musique blanche, le rock et le funk, le reggae et le punk, le folk et le ska : il n'y a décidément que dans la création que le mélange des sangs et des nations ne dérangent pas Ben – comme quoi, tout n'est pas perdu – même si One Nation Under A Groove ou l'universel love du Mothership Connection de Funkadelic et Parliament – repris sur scène par les Red Hot – ne constituent pas ses refrains préférés, encore moins un étendard et un cri de ralliement, alors qu'ils le sont pour moi de toute évidence.



Extrait de Pars loin l'aventure est infinie
de Frédéric Gournay