Le
ton monte. Jusque-là, nous avons été gentils, très sages. Calmes
comme il faut, bien élevés. Ça ne va pas durer, ça ne peut pas
continuer. Vous comprenez ? Nous n’avons pas le choix. Si vous
saviez à quel point nous aurions aimé être comme vous, exactement
pareils que vous. Combien aurions-nous préféré être soulagés de
cette vaine obstination qui ne témoigne que de l’impossibilité
d’être parmi vous, débarrassés de ce narcissisme obtus qui ne
rencontre que l’agrément des plus incapables. Mais nous n’avons
pas choisi. Et nous ne savons pas d’où vient la malédiction, qui
nous a empoisonnés, et pourquoi. La tâche est là, le but devant.
Et vous êtes entre nous et le but.
Ce
qui se dresse devant nous :
La
paresse. La télévision. La fatigue. La contemplation hébétée de
tous les écrans. Une nourriture trop riche. Le cinéma. Les amis.
Internet. Les fringues. L’alcool. Les pleureuses. Les geignards. Et
toutes les manies d’enfant gâté. Le travail salarié. Les
gadgets. Les objets. La masturbation. Et plus généralement toutes
les choses qui tiennent dans la main : livres reliés, disques
en éditions limitées, beaux ouvrages et collectors. Et autres
hochets. La drogue. L’argent. Le chantage affectif. Les crédits.
Les demandes d’amour. Les traites. Les sollicitations en tout
genre. Les bibliothèques. Les discothèques. Les inscriptions
municipales. Des papiers d’identité.
Ce
qui est de notre côté :
La faim. La soif. Le manque. Une mauvaise santé. L’hygiène. Le
sport. Les plages. La lecture. Les mêmes chaussures. Un ou deux
compagnons de route, même faux, même illusoires (« même
pas
mal. »)
L’absence de confort. La paranoïa. L’envie de tout foutre en
l’air. Une enfance confisquée. Une adolescence difficile. Des
études ratées. Quelques amours impossibles. Le cœur brisé et une
tête fêlée. L’absence de dogme. Le refus de la croyance, à
l’exception de celle-ci : vos arguments sont nuls, c’est
démontrable. Une pratique politique
du sexe. Quelques livres bien torchés. Quelques disques bien
violents. Un certain sens de la fête. Mais également la tempérance,
la continence. L’abstinence. Une certaine impatience aussi. Le
désir d’aller jusqu’au
bout.