Impossible
de dormir ? On allume la télé et là, c'est l'indicible, ou
l'hallucination surréaliste : pêches et chasses, redif' de
Laurent Boyer, reportages incompréhensibles, clips invisibles le
jour, etc. De quoi faire de drôles de rêves. Récit d’une nuit
blanche à dormir debout.
L’abus
d’alcool provoque chez certains individus des troubles du sommeil.
Je fais partie de ceux-là. 3 h 45, je me réveille avec la
certitude que je ne vais pas me rendormir de sitôt. Aux grands maux
les grands remèdes ; je vais employer le plus grand somnifère
de tous les temps, celui qui endort plusieurs millions de personnes
chaque jour sur toute la planète : la télévision. Je l’allume
et ma conscience s’éteint. Sur France 2, je ne réagis même plus
aux propos d’un étudiant anglais aux cheveux très courts qui
trouve la minorité indienne dans son école « raciste »,
jouant le martyre de la différence et créant ainsi des
problèmes « dont
on n’a pas besoin ici. » Curieuse
coïncidence, au même moment M6 diffuse des clips sur le vague thème
de l’Inde (Indian Vibes, Nitin Shawhway, Cornershop…) Je ne sais
plus du coup lequel des deux méprise le plus la culture indienne et
fait dans le Ghetto. Les clips c’est bien, mais ça fait mal aux
yeux ; je passe sur TF1 et là : les inestimables, les
indicibles, les surréalistes Histoires
naturelles.
Histoires surnaturelles
Un
pécheur en survêtement orange assure qu’au concours international
de pêche, ce n’est pas le meilleur qui gagne, « mais le
premier » ; un chasseur avec plein de pansements aux
doigts explique pourquoi il faut repeupler les forêts de cerfs pour
pouvoir mieux les tuer après. Un autre avec un fusil joue les nobles
et tue un cerf devant la caméra en expliquant qu’il sait « qu’il
faut dix ans pour faire un cerf »,
et quelques secondes pour l’abattre avec ta super carabine, super
connard. En parlant de cerfs, je comprends enfin Houellebecq, lorsque
j’apprends qu’à l’issue des parades nuptiales, 20 % des
mâles se font 90 % des femelles, essentiellement en fonction de
leur prestance, de leurs brames et de la « richesse » de
leurs bois. C’est finalement très con la femelle du cerf, presque
aussi con qu’une fille.
La
pute sentimentale et le prostitué politique
M6.
Je l’attendais mais n’osais l’espérer : l’ineffable
Laurent Boyer, interviewant à l’occasion Hélène Séguara qui
affirme que dans ses clips, elle refuse d’embrasser les garçons.
Elle est comme les putes, elle embrasse pas. Je vire pas un peu
misogyne, moi ? Retour sur TF1, et c’est Jean Claude Gayssot
gêné par un manifestant qui lui dit que « (son) entreprise
fait 13 milliards de bénéfices et licencie 450 personnes. »
Il répond façon camarade avec
un incroyable aplomb qu’au gouvernement, il « essaye
de faire en sorte que le fric ne l’emporte pas sur tout le reste »,
« Plutôt que d’avoir de la compassion, faites bouger les
choses ! » crie
un jeune excédé au super ministre. Sur France 3, c’est déjà la
mire, elle est presque belle, en comparaison du reste. On dirait du
Mondrian, mais en mieux. Je me rendors, doucement abruti par cette
image parfaite de vacuité télévisuelle.
Extrait
de Chroniques des années zéro, de Frédéric
Gournay
recueil
d'articles publiés sur le net, à paraître prochainement
aux éditions
de L'irrémissible