Dans
nos sociétés, on ne croit plus à rien, du coup, on ne sait plus
quoi faire au moment de mourir. C'est bête. S'incinérer ?
d'accord, mais où jeter les cendres et comment garder une trace? De
nouveaux rituels funéraires émergent peu à peu, de nouvelles modes
apparaissent et, comme toute mode, il y en a de très connes.
Les
psychologues et les sociologues de nos civilisations post-modernes le
répètent à qui veut l’entendre : on ne sait plus mourir. Il
est perdu le temps où l’on savait dignement accompagner le défunt
jusqu’à son ultime demeure, en lui donnant les derniers sacrements
et en lui offrant un lieu décent de repos éternel. Manière polie
et assez compliquée de nous dire une chose simple : qu’à
vivre comme des cons, rien d’étonnant à ce qu’on meurt de même.
On pourrait ajouter qu’on a un peu la mort à l’image de notre
existence : absurde, parfois grotesque et souvent pathétique.
On est donc enterré comme on vit : très vite, très mal, et
sans rien comprendre. Dans une société où l’agnosticisme s’ancre
de plus en plus dans toutes les pratiques sociales, y compris
funéraires, et détruit peu à peu tous les rites symboliques, on ne
sait plus quoi faire au moment où la mort nous atteint.
Mort
clinique
On
naît à l’hôpital, on y meurt aussi, dans 75 % des cas. Le
personnel hospitalier, pourtant plus humain qu’aucun autre, n’est
pas formé pour cela et a d’autres choses à faire (s’occuper des
vivants, par exemple.) Il en va de même pour la police ou la
gendarmerie au contact des familles, ainsi que pour le personnel
administratif chargé des formalités. Familles éclatées, voisins
anonymes, vie sociale désagrégée, le rituel funéraire revient la
plupart du temps à des sociétés de pompes funèbres qui vendent
chèrement la prise en charge du corps et de la cérémonie.
Rentabilité oblige, le cérémonial est souvent expéditif et la
liturgie sommaire, et la compassion est rarement comprise dans le
forfait décès. Afin que le mort ne s’ennuie pas et ne se sente
pas trop dépaysé, il est accompagné illico presto dans des
columbariums étroits censés lui rappeler les HLM dans lesquels il a
vécu toute sa vie. Nul doute que la famille prendra autant de
plaisir que de son vivant à lui rendre visite.
Une
vie sans éclat s’illumine au crématorium
À
moins de considérer sérieusement Halloween comme une nouvelle
manière d’envisager la relation aux disparus, il faut bien
reconnaître que tout ça manque un peu de folklore. La crémation,
on le sait, connaît un succès grandissant, mais ne résorbe pas le
sentiment de dépossession et d’inhumanité qui caractérise le
deuil à l’occidental. La dispersion des cendres devient alors
l’occasion de tous les excès et de toutes les fantaisies. Dans la
mer, dans la Seine, en montagne ou en forêt, on disperse à tout
vent et l’on se met, comme dans le sud de la France ou au Pays
Basque, à graver des noms un peu partout afin ne pas oublier les
ancêtres. On imagine aisément les dégâts à venir. À vouloir
être absente de notre vie, la mort finira par être omniprésente et
donnera certainement à nos vacances une autre couleur pastorale.
Extrait de Chroniques des années zéro de Frédéric Gournay