Il
y a des matins comme ça où l’on a envie de tout foutre en l’air,
de tout faire sauter et d’endosser, pour changer, le destin
tragique d’un homme d’une seule idée. Seulement voilà, se faire
le héros d’une cause martyre, ce n’est pas à la portée de tout
le monde. Heureusement, grâce à Internet, n’importe quel
Occidental comme moi un peu déprimé et bouffi de remords
tiers-mondistes peut devenir, en quelques clics, un dangereux ennemi
public numéro 1.
La
cause, je la chercherai plus tard, ce n’est pas le choix qui manque
(la lutte contre le Grand Capital, la libération de la Palestine, de
l’Irlande du Nord, du Pays Basque espagnol, du peuple Tchétchène,
je trouverai bien.) L’essentiel, c’est d’abord de s’initier
aux techniques aguerries des combattants de l’ombre et de rentrer
ainsi dans le cercle restreint des poseurs de bombes qui font
trembler les grands états et les polices du monde entier. Je me
connecte sur Internet et tape sur mes différents moteurs de
recherche les mots « Bombe, terroriste, anarchie » ;
le résultat ne se fait pas attendre, plus de 80 références
apparaissent (à ce moment précis, je suis peut-être en train
d’être repéré par la NSA, quel pied !) Pressé, je jette
mon dévolu sur le premier site, nommé « Anarchie Divine »,
des mystiques de la révolution. On y cite A. Bierce, Tolstoï, les
nihilistes russes. Enfin des criminels cultivés ! Dans mes
bras, mes nouveaux amis. Très vite, je passe les différents slogans
et autres discours idéologiques gonflants et parviens à une liste
exhaustive des armes indispensables à la lutte armée. Très bien
faite, avec les références précises, avec le rapport qualité/prix,
les éventuels réseaux d’approvisionnement, etc. Le Derringer,
légal, est à 60 euros (pas cher), le Python.357 à 120 euros (une
affaire), le bon vieux UZI à 150 euros et le AK-47 à 170 euros ;
notre Famas national est à moins bon marché, à 1500 euros, et l’on
trouve même un bazooka (hors de prix) ainsi que des missiles
antichars Milan à 4000 euros pièce (quand même) suivi… d’un
lance-pierre et d’une fronde à 50 euros. Qu’est-ce que cette
connerie ? Et merde, trop hâtif, je n’avais pas vu que
j’étais connecté à un jeu, un de ces jeux de rôles à la con
pour révoltés virtuels.
Attention,
ceci n’est pas un exercice
Plus
attentif cette fois-ci et plus résolu que jamais, j’opte sur un
site publiant l’intégral du Terrorist
Handbook,
fameux bouquin d’un anonyme pas publié qui nous explique pour de
vrai comment fabriquer des explosifs, de l’enfantin cocktail
Molotov à la bombe au Pyrodex, en passant par la bonbonne de gaz au
propane (« ligth
the fuel and run ».)
On y trouve la liste détaillée des produits chimiques et des
différentes poudres disponibles sur le marché (acide sulfurique,
chlorate de potassium, acétylène, hydrogène, nitrocellulose et
autre R.D.X), les doses précises et les recommandations de manip’
pour ne pas que ça vous pète à la gueule. On peut également avoir
des informations sur les armes et sur leur potentiel destructeur, et
s’entendre confirmer ce que l’on savait déjà, à savoir que les
canons et les roquettes sont très durs à trouver et, de toute
façon, hors de prix. Il y a même la Checklist (acide nitrique,
sulfurique, éthanol 95 %, etc.) pour les braquages de
pharmacies. Putain, c’est du sérieux. Limite, ça fout la
trouille. Je finis par me demander si je désire vraiment tuer des
personnes et éventuellement finir le reste de ma vie en prison. Et
puis la poudre et l’artisanat, c’est quand même un peu ringard.
Et
si je posais des bombes informatiques ?
Certes,
plus lâche et moins glamour, la bombe informatique n’en demeure
pas moins un instrument redoutable de destruction et un moyen de
chantage tout à fait crédible. Il suffit pour cela de se procurer
certains CD-ROM ou de télécharger les programmes par le Net ;
ça s’appelle Internet
Interdit, Group 42, X-files, Hackers
ou Underground
et ça vous explique pédagogiquement (même un débutant comme moi
peut s’y mettre) comment ôter la protection des logiciels
protégés, pénétrer des réseaux, pirater des lignes
téléphoniques, créer des fausses cartes de crédits ou protéger
des messages secrets et surtout, le plus important, comment fabriquer
et propager des virus informatiques. Je vais enfin devenir un grand
terroriste, sans verser une goutte de sang. Manque de bol, en
téléchargeant l’un de ces programmes, un virus s’est introduit
et a planté mon système et effacé mon disque dur… Il y a des
matins comme ça où l’on ferait mieux de se recoucher.
Extrait de Chroniques des années zéro de Frédéric Gournay
à paraître prochainement aux éditions de l'Irrémissible