À
la télé, au boulot, entre amis, on ne dit plus « c’est très
bien », « c’est très bon » ou « c’est
très beau, ça », désormais, on dit : « C’est
TénoOorme. » Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
Tentative d’explication socio-psychanalytique non exhaustive et pas
très sérieuse.
Le
phénomène est parti de Canal Plus, toujours à la pointe, on le
sait, en matière de jeunisme et de branchitude. Sûr d’ailleurs
que ce néologisme provenait du milieu de la mode et de la pub – si
cher à « l’esprit Canal » – employé
inconsidérément qu’il devait être par les jeunes « créatifs »
empoudrés et extasiés, à propos de tout et de n’importe quoi
(leur salaire, le sexe de leur partenaire, la taille de leur rail de
coke.) Et le tic de langage n’a pas tardé à se propager :
tout le monde maintenant reproduit ce mouvement de dénégation de la
tête avec les sourcils froncés d’incrédulité, accompagnée
d'une bouche tordue d’exclamation affirmative qui se veut sans
appel : « C’est
TénoOorme »,
que ce soit à propos de la énième publicité de la marque machin,
du dernier film de truc, du nouveau livre de bidule, d’un disque,
d’un nouveau hamburger, d’un rôt, d’un pet, du fond de son
kleenex ou d’un bouton d’acné. Tout désormais est
potentiellement « énoOorme. »
Un
superlatif pour une mini-pensée
On
en conviendra aisément, quand on a dit « C’est TénoOorme »,
on n’a pas dit grand-chose. Et c’est là la redoutable efficacité
de ce superlatif. Expression médiatique s’il en est, « c’est
TénoOorme » est le plus sûr moyen de ne pas se faire
comprendre et a
fortiori de
ne pas être contredit. Ce qu’il y a de pratique avec « c’est
ténoOorme », c’est qu’on ne sait jamais dans quel registre
on se situe ; on ne sait pas si c’est bien, si c’est bon ou
si c’est beau. Cela traduit souvent chez celui qui l’emploie un
refus de discuter, et même une franche incapacité à oser le
moindre jugement personnel. On en reste à la quantité, au mesurable
que cela représente dans une perception spectaculaire des choses,
avec ses critères d’audience et sa logique comptable. Même si
cela signifie littéralement « ce
qui sort des bornes habituelles »,
« C’est TénoOorme » marque en fait la victoire achevée
du quantitatif sur le qualitatif en matière de jugement. Les
personnes ne parlent plus de ce qu’ils aiment ou non, mais de ce
qui va marcher ou pas.
C’est
grave, docteur ?
Mais
alors ? Ça vient d’où cette compulsion à parler sans cesse
de volume ?
C’est sexuel ? (la taille !) Un peu trop facile.
Phallique ? Oui et non. Plus exactement : anal. Eh oui,
l’important dans notre société, c’est ce qu’on produit. Et il
faut bien avouer que plus le caca est gros et plus maman est
contente. Alors l’extase liée au volume, on la comprend un peu
mieux de la part des personnes obsédées par ce que leur demande
à longueur de temps leur hiérarchie. Ils finissent par parler de
tout « produit » comme de leurs crottes : après le
« ça va faire mal », l’enthousiaste « C’est
TénoOorme. » Prévoyons donc du papier, ne serait-ce que pour
pouvoir à chaque fois leur essuyer la bouche.
Extrait de Chroniques des années zéro, de Frédéric Gournay
recueil d'articles publiés sur le net, à paraître prochainement
aux éditions de L'irrémissible
(www.frederic-gournay.com)
aux éditions de L'irrémissible
(www.frederic-gournay.com)