mercredi 3 juin 2015

Journal d'Yves Tenret - Cinquième partie





Février 1984


        Ma mère m’attendait le jour précédent. Je dis Non à sa procuration. En dix minutes, elle me jette. Elle est vraiment au centre de ma pulsion à tout repenser, à mon désir de renaissance. Je ne connais pas la vengeance.
   L’Abdominal me décrit comme étant sans humour. Puis rien. Au physique, passablement malade. Il était maussade parce qu’on venait de braquer son appartement. De tout cela, je n’en pense rien. Les vitrines m’attirent. Loïc dit que je n’ai pas envie d’écrire. Mon foie… J’ai en tout cas envie de me faire branler mais malheureusement même cela, ça doit se mériter.
   Sera-ce un jour un bide et ces trois poils, un souvenir sublimé ?
   Arracher tout avec la racine et devenir ultimement fin, élégant et subtil.
  L’orientation existentielle de Pajak l’oblige toujours à penser les autres en termes de caractère. Plutôt que d’accepter de titiller le détail, il faut attaquer l’orientation générale, refuser fermement ce type de débat qui ne renvoie qu’à des angoisses petites-bourgeoises – tout cela accentuant encore plus l’aspect non-réalisé de l’époque dite du « Loto ». J’aime penser. Le rêve m’épuise, m’avilit, élève mes impuissances à leur propre auto-culte. Toute cette sensibilité dont je me gorge tant n’est qu’économie, mensonge, raccourci hasardeux. N’est-ce pas Mesdames, que j’ai raison ? Si je ne veux plus parler des gens en leur absence, ce n’est pas pour une quelconque raison morale, c’est parce que les gens ne m’intéressent pas. Ce qui m’intéresse, c’est notre travail commun, nos travaux passés, nos activités présentes, nos projets. N’empêche qui en a ? Faut vraiment se les fader ! C'est dur !
    Ma conception des rapports humains n’est en rien utilitariste. Néanmoins, ceci dit, elle n’est pas assez pratique !
    Il me faut renouer avec l’enfance, avec le temps où on ne disait jamais Tu es qui toi ?  mais toujours  Qu’est-ce qu’on fait ? 

      Ma petite Nora. Ô ma compassion ! Et ils t’ont insultée !
- Mais enfin, je me sens mieux quand je pèse cinq kilos de moins disais-tu.
Une grande pècheresse…
- Je ne mets pas le linge à tremper, ce sont les gens sales qui font ça, disais-tu.
    L’éternel vivace leur pisse à la raie. Ton petit cul est serein. Nous nous sommes tant frottés !

    Au départ, elle pose l’hypothèse de l’enfant trouvé. Nous étions à Genève, tes longues jambes effilées. Difficiles besoins et autres tartuferies. Embrasse-moi ! Encore ! Un mot griffonné sur un ticket de métro. C’est fait, c’est fait et aujourd’hui, elles lavent sans bouillir. Rohypnol. Un polaroïd du personnage. L’exposé ciblé de la situation. Perd en sa morveuse brutalité. Il se raisonne, elle a le vertige, il s’occupe. Elle est performante, perforée et perforante. Grande pècheresse ! C’est trop donneur…
- Je ne mets jamais le linge à tremper, disait-elle.
Ma tendresse est terreur. Il n’a pas encore 16 ans qu’il jacte déjà sentencieusement. Il doit se raccourcir. Échecs sur échecs, exaltation morbide - tant de rendez-vous manqués. Mycose ! Décrire, c’est l’usine. Elle lave sa culotte.
- Quand tu n’es pas là, tu me manques, dit-elle.

    « La surface des choses fait jouir, leur intériorité fait vivre ». Piet Mondrian
Comme la théorie de la relativité, le néoplasticisme n’avait pas pour objet les formes et les corps, mais avec les forces, les énergies et les relations.
    Le gros plan élimine les données pittoresques.

   Capacité peu commune à répéter sans cesse les mêmes expériences, à garder intact sa capacité de déception. Il met tous ses enjeux dans le corps à corps. Il s’agite. Il veut repeindre sa chambre en rouge. Il est très nerveux, émotif, frileux.
    Je dis à Loïc :
- La différence entre nous, c’est que nous rencontrons de nouvelles personnes, c’est que tu te demandes ce qu’elles pensent de toi et moi ce que je pense d’elles…
   Avant de partir, elle me frappe violemment sur la tête. Elle cherche à dévaster la chambre. Elle hurle que personne ne s’occupe jamais d’elle. J’essaye de la calmer. Elle hurle que je lui ai cassé le pouce et qu’elle va se rendre volontairement à Sainte Anne pour se faire interner. On se cogne dessus…
    Pour ce qui est de la piller, je la pille là. Je me noie dans toutes ces humeurs et, fragile, je suis à la merci du premier connard venu. Qu’elle me fasse ce qu’elle veut, tout, mais pas qu’elle me fasse la gueule.
    Elle délire et je me sens mal. C’est précis, sec, réaliste. Je reste assis, pris au piège, congelé. Drôle de livraison. Je reste soumis. C’est intimidation sur intimidation et glapissements constants. Voilà donc que pour pisser, je m’accroupis.

     Il est des matins où tout semble possible.
    Comment est-ce possible ? Je pourrais, sans hésiter une seconde, l’étrangler pour qu’elle soit enfin à moi et rien qu’à moi.
   Tant d’actions obscènes pour qu’il décharge ! C’est tellement inepte qu’il finit par s’en vouloir.

    Mon sexisme se résume à cet axiome : moins en a, plus on s’y attache.
    L’odeur amère de la désuétude. Inexpressif et avide, je négocie…

   Tension et les couilles mobiles. La mienne impossibilité congénitale d’imaginer le tragique. Jamais désenchanté, juste corporel, affectueux et bête. Elle me pousse sous la porte cochère et s’accroupit, de la main je lui enserre les cheveux. 



                                                                                 Yves Tenret