mercredi 6 mai 2015

Le mal-aimant - Extrait



        Alors mon salaud ? je veux que tu me dises tout, tu m’entends, tout, je veux que tu m’épargnes aucun détail, tu peux rien cacher à ton vieux Ben, tu sais qu’ici tout le monde est au courant ? Ouais je t’appelle du boulot, raconte, mais raconte, attends il faut que je me pince la bite, j’ai un afflux sanguin, vas-y, j’écoute, non, j’te crois pas, putain c’est pas vrai, ça commence comme du Max Pécas et ça finit comme du Rohmer, nan j’ai jamais vu de film de Rohmer, faut absolument qu’on se voit, t’es rentré quand ? t’aurais pu m’appeler avant, enfoiré, ouais ça va, en bouclage, déjà la pression, c’est mon père qui va pas très bien, les nouvelles ne sont pas bonnes, c’est pour ma mère aussi que c’est dur, oui je leur dirai, c'est gentil, j’t’ai dit que je repartais en Nouvelle-Zélande ? pas longtemps, quinze jours, putain j’suis amoureux grave, elle est trop mignonne cette petite, après c’est elle qui vient normalement, j’t’ai pas raconté pour Alex ? Parti une semaine en Californie pour le catalogue de la boite, rencontré là-bas une top-modèle, tombés fous amoureux l’un de l’autre, un plan cul de folie, il ne parle pas un mot d’anglais, elle ne parle pas un mot de français, ils s’appellent, ils restent des heures au téléphone, qu’est-ce qu’ils peuvent bien se dire ? C’est tout lui ça, sacré Alex, et toi mon Frédo, qu’est-ce que tu vas faire cette année ? T’as commencé tes chroniques ? Tu sais que je commence à me faire des relations ici, faut que je te présente le chef de rubrique, un mec excellent, la musique avec Marc ça marche ? à la Guinguette-Pirate, c’est bien cet endroit ? un nouveau guitariste ? je viendrai vous voir, promis, tes parents ? le café ? c’est sûr ils divorcent ? c’est dingue, après toutes ces années, faut vraiment qu’on se voit, j’ai touché une beuh mortelle, et de la coke tu m’en diras des nouvelles, eh ouais, c’est ça le milieu de la mode, le show-bizzz, Pierrot m’a raconté depuis qu’il bossait il s’était mis dans le nez l’équivalent du dernier coupé Mercedes, il aurait pu se le payer, cet idiot, l’autre jour avec sa stagiaire la capote qu’a lâchée il m’a trop fait rire, ouais il a aussi remis ça avec son ex, Jeanne, il a déconné, c’est elle qu’a l’appartement maintenant, un jour elle va lui annoncer qu’elle est enceinte, il sera pas dans la merde, mon Frère ? Oh Éric tu sais c’est Éric, toujours dans les produits surgelés, peut-être une promotion, il sort avec sa prof de tai-chi, mais elle a déjà un mec je crois, et toi Estelle tu la revois ? faudrait peut-être passer à autre chose, l’oublier, une nouvelle voisine ? mignonne  ? dis donc toi, tu veux pas te calmer avec tes voisines ? tu vas finir par foutre la merde dans ton immeuble.
Extrait du Mal-aimant, roman de Frédéric Gournay
paru aux éditions de L'irrémissible