mercredi 25 mars 2015

Quand j'étais une fille





    Cette histoire je ne l’ai jamais racontée à personne. C’était en 1967, j’étais barman dans une petite rue en face de la Bourse à Bruxelles. Mes collègues se tapaient qui ils voulaient et moi je n’y arrivais jamais. J’étais trop mignon, j’avais l’air d’une fille et ça, avec ces gens-là, ça ne pardonne pas. Si vous saviez tout ce à quoi j’ai assisté au Baccara : des maquereaux dansant enlacés, des putes suçant pour rien, une clodo se faisant lécher par son berger allemand... Gilbert le gérant qui avait un air veule à la Alain Delon, soupirait quand une gonzesse lui proposait la botte. Il soupirait !
Avec ma tronche de bébé, je m’essuyais des tonnes de conseils du soir au matin. Comment je devais arnaquer, qui je devais arnaquer, comment ne pas se faire chopper, d’économiser car tout cela ne durerait pas...
En général, je finissais mes nuits au Bowling de la place de Brouckère. Quand elle me dit : « Oui, je veux bien venir avec toi », c’est donc là que je l’emmenais. J’avais été le seul à lui parler de la nuit. Faut dire qu’elle faisait dans les 1,85 m, était franchement maigre, un peu crade, pas peignée, habillée tout en jeans ce qui n’était pas vraiment le genre de l’endroit. Je sentais que les autres souriaient dans mon dos mais je n’en avais rien à foutre. Je lui filais de temps en temps une Carlsberg en douce, m’intéressait à tout ce qu’elle racontait et j’essayais d’avoir l’air d’un mec détendu.
En chemin, elle me répéta plusieurs fois qu’elle avait un truc absolument spécial, tuant, qui allait me renverser. De quoi s’agissait-il ? Je n’en avais aucune idée. Avait-elle un tigre tatoué sur les fesses ? Au Bowling, elle avait dévoré un steak frites et deux parts de tarte chantilly banane. Après, dans la rue, j’avais essayé de lui prendre la main mais elle m’avait repoussé. Ce n’était pas une sentimentale. Juste une paumée qui cherchait un endroit sûr pour dormir. Chez moi, par contre, sur mon matelas, malgré le froid, elle s’était laissée déshabiller. Je tremblais, essayant de n’être pas trop brusque, si maladroit, tout en n’y arrivant pas réellement. C’est là qu’elle se mit à prendre l’initiative. Elle me dit de reculer, d’arrêter de la peloter comme un sauvage, d’attendre, de me contenter de regarder. J’obtempérais et elle se mit à se caresser doucement. J’étais stupéfait : tant de bonheur !
Au bout d’un moment, elle me sortit de ma stupeur en m’interpellant frénétiquement : « Tu le vois ? Il te plaît ? » Mon expression ahurie la fit éclater de rire. « Mon clito, tu ne vois pas comme il est grand ? » Putain, elle avait un clito géant ! Et elle me bourrait la tête de coups donnés par ses longues mains osseuses couvertes de bagues en criant : « Suce ! Suce ! ».

Eh oui, on n’échappe pas à son destin. Dix ans d’internat passés à rêver des filles et là


                                                                                    Yves Tenret