Trop
caractériel, trop morbide, ok, quoi alors ? Un pamphlet sur
l’époque ?
Cela
se passait à l’époque de la démocratisation artistique. Pendant
que les uns prêchaient la mort de l’art, les autres, de nombreux
autres s’engouffraient dans cette vocation aux allures de longue
pénitence. Étant pauvres, ils se disaient : Autant faire de
l’art. Cela me fera paraître plus noble.
Mais
malheureusement la plupart d’entre eux étaient plutôt tristes et
avaient une fâcheuse tendance à se lamenter. Notre héros s’en
réjouissait car cela lui donnait de nombreuses occasions lui
permettant d’exercer sa légendaire impertinence, dans ce cas
précis, si pertinente. Jamais il ne s’abaissait à tenir des
paroles réconfortantes. Toujours, il frappait le sol de son bâton
et crachotait :
-
Pas assez d’imagination, pas assez d’imagination.
Double
cruauté car non seulement, c’était vrai, mais de plus, si cela ne
l’avait pas été, de leur misère, ces pauvres gens auraient
souffert encore bien davantage.
Les
rapports humains étaient tombés dans une telle qualité
d’abstraction que tout échange incarné semblait être une
incongruité intolérable.
Les
anciens théoriciens du négatif étaient tous, à présent, de
paisibles retraités et l’un de leur plus fameux mécènes avait été assassiné par un marchand de cassettes VHS.
Le
pouvoir s’émiettait à l’infini. Plus personne ne savait qui en
avait et qui n’en avait pas. Mais le prolétariat artistique n’en
avait pas. Cela au moins était une certitude. C’est dans
l’exercice même de leur activité que les artistes devaient se
consoler. Aussi, le moindre des Martin se prenait-il pour Rubens ou Le Bernin.
Dans
les rues des grandes métropoles désertes, le citoyen, son sexe à
la main, pouvait décharger sa libido car cela n’entravait en rien
la circulation des marchandises.
Toutes
les drogues étaient en vente libre.
« Plus
petite la marge d’erreur, plus grande la surprise »,
aimait-il à répéter.
Les
artistes prétendaient donc être supérieurs aux autres pauvres,
prétendaient qu’eux, ils l’avaient choisie, cette misère.
Le
pouvoir, pour les occuper, organisait des concours entre eux. Le
pouvoir aimait à vanter le mérite des activités inoffensives mais
préférait quand même la muse et le Musée de la Publicité.
Pour
des raisons, encore restées inexpliquées jusqu’à nos jours,
malgré l’excellente qualité des reproductions auditives et
visuelles de l’époque, la plupart des gens continuait à n’avoir
foi qu’en l’original, notion, entre toutes, des plus discutables. Ainsi pouvait-on encore voir des femmes et des hommes en chair et en os
sur une scène pour y crier, chanter, parler, réciter, jouer devant
des personnes assises ou debout qui s’étaient spécialement
déplacées pour cela.
Yves Tenret