Carla
mesurait la taille de mon sexe de moins que moi, et c’était une
boule de nerfs, une sale petite énergie. Il arrivait que nous nous
fâchions très vaillamment. Cela pouvait commencer ainsi :
« De
toute façon, t’as intérêt à assurer parce qu’il y a des
tonnes de mecs qui sont amoureux de moi
-
J’imagine les débiles que ça doit être.
-
Thomas il est débile peut-être ?
-
Tu sais bien que Thomas est incapable de t’assumer.
-
Thomas il travaille, lui, et il a du talent.
-
Je voulais parler de sexe.
-
Comment peux-tu dire des choses aussi vulgaires et prétentieuses ?
-
Je dis simplement que les mecs dont tu parles ne sont que des
écouillés.
-
Mon pauvre vieux, regarde-toi, tu fous rien, t’es en vie, et
encore ! » Elle plaça un coup de poing dans mon abdomen
et pouffa. Je la saisis par les hanches, la renversai sur le parquet.
-
« Sale con ! Cria-t-elle.
-
Parfait, dis-je, je vais le nettoyer. »
L’« ex »
de Carla était un « dur à cuire ». C’est la première
fois que j’avais à passer derrière un « dur à cuire ».
D’habitude, les femmes me décrivaient leurs « ex »
comme des chiffes molles vaguement sentimentaux, un peu chieurs, mais
gentils. Elles se démerdaient toujours pour affirmer qu’elles ne
les avaient aimés qu’un instant, voire pas du tout, que ce
n’étaient que des passages. Je me délectais de ces récits
aventureux, je me laissais bercer au rythme des histoires révolues,
loin de la chimère du grand amour, en pleine réalité, en pleine
trivialité, j’y trouvais un penchant au romantisme convenu, j’y
évoluais comme un poisson dans l’eau, je raffolais de détails
croustillants, tantôt drôles, parfois émouvants, souvent sordides,
elles appelaient ça leurs erreurs de parcours. Si je m’amusais à
raconter les miennes d’histoires, la plupart de mes amies opéraient
des bons de trois mètres, virevoltaient, elles se choquaient vite
fait, se mordaient de jalousie, ne voulant plus rien entendre, elles
renâclaient, c’était le cataclysme, tout se soulevait,
tremblements de lit, la plupart des femmes ne s’expriment qu’avec
leur chatte, leur sexe leur sert de bouche, si ça crie alors nos
princesses ! Parfois je continuais quand même, histoire de voir
comment qu’elles se détestent entre elles. Carla en avait marre
des histoires à la con, qui se terminaient invariablement dans les
cris, les larmes, la colère et le sentiment de s’être fait
blouser. Mais je connaissais le point faible de Carla : son cul.
C’est par là que tout était récupérable, fallait lui proposer
l’affaire avec un peu de manière autour, suggérer, avec des mots
choisis, des mots cochons, le sourire de l’âme. Par contre, ce qui
poussait à ne l’aimer que très modérément étaient ses
reproches et sa sale manie de me voir travailler, suer, m’éreinter,
paraît-il pour mon bien. C’est ainsi qu’un jour, j’avais pris
mes cliques et mes claques. Je m’étais défait de la promesse de
ne boire que quatre bières par jour, promesse que je ne tenais pas,
elle m’avait demandé de choisir entre elle et l’alcool. Ce fut
évident de trancher et j’avais rétabli mes quartiers d’hiver
dans les cafés. Je m’étais trimballé en Europe, avais visité
quelques musées qui me laissaient un drôle de goût dans la bouche.
Un goût de déjà vu, un goût de mort.
Quand
je la revis, elle avait pris quelqu’un à ma place. Un dur à
cuire. Un chat. Son chaton ne mesurait pas plus de quinze
centimètres, mais elle m’avait prévenu de sa jalousie maladive.
Il ne supportait pas qu’un autre pût coucher avec sa maîtresse.
Elle m’avait été fidèle ou presque, m’attendant patiemment
avec son bébé félin, chasseur de boules de laine, de souris et
d’amants, de touche-pipi.
Les
femmes savent-elles encore baiser ? Je veux dire se donner. Elle
s’était habillée sexy ce jour-là. Evidemment : nous avions
rendez-vous, elle comptait bien m’exciter le système amoureux.
Nous bûmes quelques verres et conclûmes rapidement que nous irions
chez elle cette nuit. Elle s’était montrée avenante et quand je
répondis au vendeur de fleurs que les roses sont le symbole de la
fidélité et que moi, c’est pas mon truc, elle ne se fâcha pas
mais sourit gentiment. Nous arrivâmes chez elle, le chat nous
regarda, indifférent. Je jouai avec lui, tâchai de sympathiser,
mais l’animal me rejetait avec l’indifférence et la
condescendance qu’on connaît à cette race. Il m’ignora et
trouva de meilleures occupations. Je laissai tomber le chat,
m’occupai de Carla et connus une érection qui dépassa notre
différence de taille. A la grande surprise de Carla, il nous laissa
faire l’amour. Cela prouvait bien que j’étais un amant
intouchable, supérieur. Cette fois, je l’avais joué à la
douceur, aux caresses, félin… Cela poussa Carla à me susurrer
qu’elle m’aimait. Comme je grognais, elle se rétracta et s’avoua
qu’elle plaisantait. Il devait être neuf ou dix heures du matin
quand on me réveilla. Le petit chat croquait mes pieds. Je n’avais
pas la moindre envie, après la nuit que nous venions de passer, de
me lever ou de voir mon sommeil dérangé. Mais plus je me
retournais, plus il s’amusait des petites pelotes de cotons que
formaient mes pieds sous la couette. Et si je me découvrais pour le
repousser, il bondissait sur mes orteils. J’étais persuadé que ce
chat ne jouait pas mais qu’il menait une danse perverse dans le but
de m’évincer de l’appartement. De son appartement. Evidemment si
je le rabrouais trop violemment ou le frappais, il eût réveillé
Carla et nous étions bons pour une crise en bonne et due forme.
Cette perspective ne me plaisait guère, d’autant que j’avais
noté qu’elle ne désirait pas que je noue contact avec son chéri.
Vous connaissez les femmes, exclusives ! Il me manquait encore
une heure ou deux à dormir pour tenir la grande forme et je ne
pouvais me résoudre à la violence avec ce petit chat débile qui,
lui, n’hésitait pas à mordiller mes pieds, à les pincer ou les
griffer si jamais j’esquissais le moindre geste. Je décidais de
rester calme, j’optais pour le stoïcisme et la patience, le pardon
zen, le flegme. Il s’arrêterait, vaincu par mon tact et mon
indifférence. Il reprit de plus belle. Si je le repoussais de ma
main, c’est à ma main qu’il s’attaquait. Je retirais les
couvertures afin qu’il s’imagine bien, qu’il conçoive que mes
membres n’étaient pas des pelotes de laine. Et n’acquiesçant
plus nul mouvement, il se calma un peu. L’intelligence est animale.
Ce matin là était torride. J’eus envie de me gratter les
couilles, ce que je fis et comme je retirai ma main de mon
entrejambe, le chat bondit pour entreprendre cette drôle de chose
qui bougeait. Son saut manqua ma main et se figea ailleurs. Il planta
ses griffes dans mes couilles qu’il lacéra de petits traits bien
parallèles. Le chat de Carla avait griffé mes couilles ! Le
petit salop ! Il s’était enfin attaqué au bon endroit et
recula quand je lançai un inaudible ouille, avec un sale regard de
petit couillon. Carla ne se réveillait toujours pas, quant à moi,
il était inutile que je songe à me rendormir. Le chat avait raté
sa mutilation, mais j’allais me venger avec ses propres armes,
l’hypocrisie, la mauvaise foi, le jeu.
Sa
caisse se trouvait dans la salle de bain, je m’y rendis, à poil et
vaporeux, je m’accroupis au-dessus d’elle et chiais un bon coup.
Zoé me jugeait avec des yeux allumés, j’avais chié dans sa
caisse. Ce chat avait un nom femelle et j’avais chié dans sa
caisse ! Je me torchai, me rendis dans la chambre, m’habillai
en silence, embrassai Carla puis pris le métro direction Belleville.
Un ami exposait ses peintures. Il y aurait de nouvelles aventures.
Carla et Zoé, je ne les revis jamais. De toute façon, je ne
supporte pas les couples.
Extrait de Encore à l'Ouest, recueil de nouvelles d'Hervé Quideau
paru aux éditions De La Chair