mercredi 18 février 2015

Encore à l'Ouest - Extrait





    Carla mesurait la taille de mon sexe de moins que moi, et c’était une boule de nerfs, une sale petite énergie. Il arrivait que nous nous fâchions très vaillamment. Cela pouvait commencer ainsi :
« De toute façon, t’as intérêt à assurer parce qu’il y a des tonnes de mecs qui sont amoureux de moi
- J’imagine les débiles que ça doit être.
- Thomas il est débile peut-être ?
- Tu sais bien que Thomas est incapable de t’assumer.
- Thomas il travaille, lui, et il a du talent.
- Je voulais parler de sexe.
- Comment peux-tu dire des choses aussi vulgaires et prétentieuses ?
- Je dis simplement que les mecs dont tu parles ne sont que des écouillés.
- Mon pauvre vieux, regarde-toi, tu fous rien, t’es en vie, et encore ! » Elle plaça un coup de poing dans mon abdomen et pouffa. Je la saisis par les hanches, la renversai sur le parquet.
- « Sale con ! Cria-t-elle.
- Parfait, dis-je, je vais le nettoyer. »

    L’« ex » de Carla était un « dur à cuire ». C’est la première fois que j’avais à passer derrière un « dur à cuire ». D’habitude, les femmes me décrivaient leurs « ex » comme des chiffes molles vaguement sentimentaux, un peu chieurs, mais gentils. Elles se démerdaient toujours pour affirmer qu’elles ne les avaient aimés qu’un instant, voire pas du tout, que ce n’étaient que des passages. Je me délectais de ces récits aventureux, je me laissais bercer au rythme des histoires révolues, loin de la chimère du grand amour, en pleine réalité, en pleine trivialité, j’y trouvais un penchant au romantisme convenu, j’y évoluais comme un poisson dans l’eau, je raffolais de détails croustillants, tantôt drôles, parfois émouvants, souvent sordides, elles appelaient ça leurs erreurs de parcours. Si je m’amusais à raconter les miennes d’histoires, la plupart de mes amies opéraient des bons de trois mètres, virevoltaient, elles se choquaient vite fait, se mordaient de jalousie, ne voulant plus rien entendre, elles renâclaient, c’était le cataclysme, tout se soulevait, tremblements de lit, la plupart des femmes ne s’expriment qu’avec leur chatte, leur sexe leur sert de bouche, si ça crie alors nos princesses ! Parfois je continuais quand même, histoire de voir comment qu’elles se détestent entre elles. Carla en avait marre des histoires à la con, qui se terminaient invariablement dans les cris, les larmes, la colère et le sentiment de s’être fait blouser. Mais je connaissais le point faible de Carla : son cul. C’est par là que tout était récupérable, fallait lui proposer l’affaire avec un peu de manière autour, suggérer, avec des mots choisis, des mots cochons, le sourire de l’âme. Par contre, ce qui poussait à ne l’aimer que très modérément étaient ses reproches et sa sale manie de me voir travailler, suer, m’éreinter, paraît-il pour mon bien. C’est ainsi qu’un jour, j’avais pris mes cliques et mes claques. Je m’étais défait de la promesse de ne boire que quatre bières par jour, promesse que je ne tenais pas, elle m’avait demandé de choisir entre elle et l’alcool. Ce fut évident de trancher et j’avais rétabli mes quartiers d’hiver dans les cafés. Je m’étais trimballé en Europe, avais visité quelques musées qui me laissaient un drôle de goût dans la bouche. Un goût de déjà vu, un goût de mort.

    Quand je la revis, elle avait pris quelqu’un à ma place. Un dur à cuire. Un chat. Son chaton ne mesurait pas plus de quinze centimètres, mais elle m’avait prévenu de sa jalousie maladive. Il ne supportait pas qu’un autre pût coucher avec sa maîtresse. Elle m’avait été fidèle ou presque, m’attendant patiemment avec son bébé félin, chasseur de boules de laine, de souris et d’amants, de touche-pipi.
    Les femmes savent-elles encore baiser ? Je veux dire se donner. Elle s’était habillée sexy ce jour-là. Evidemment : nous avions rendez-vous, elle comptait bien m’exciter le système amoureux. Nous bûmes quelques verres et conclûmes rapidement que nous irions chez elle cette nuit. Elle s’était montrée avenante et quand je répondis au vendeur de fleurs que les roses sont le symbole de la fidélité et que moi, c’est pas mon truc, elle ne se fâcha pas mais sourit gentiment. Nous arrivâmes chez elle, le chat nous regarda, indifférent. Je jouai avec lui, tâchai de sympathiser, mais l’animal me rejetait avec l’indifférence et la condescendance qu’on connaît à cette race. Il m’ignora et trouva de meilleures occupations. Je laissai tomber le chat, m’occupai de Carla et connus une érection qui dépassa notre différence de taille. A la grande surprise de Carla, il nous laissa faire l’amour. Cela prouvait bien que j’étais un amant intouchable, supérieur. Cette fois, je l’avais joué à la douceur, aux caresses, félin… Cela poussa Carla à me susurrer qu’elle m’aimait. Comme je grognais, elle se rétracta et s’avoua qu’elle plaisantait. Il devait être neuf ou dix heures du matin quand on me réveilla. Le petit chat croquait mes pieds. Je n’avais pas la moindre envie, après la nuit que nous venions de passer, de me lever ou de voir mon sommeil dérangé. Mais plus je me retournais, plus il s’amusait des petites pelotes de cotons que formaient mes pieds sous la couette. Et si je me découvrais pour le repousser, il bondissait sur mes orteils. J’étais persuadé que ce chat ne jouait pas mais qu’il menait une danse perverse dans le but de m’évincer de l’appartement. De son appartement. Evidemment si je le rabrouais trop violemment ou le frappais, il eût réveillé Carla et nous étions bons pour une crise en bonne et due forme. Cette perspective ne me plaisait guère, d’autant que j’avais noté qu’elle ne désirait pas que je noue contact avec son chéri. Vous connaissez les femmes, exclusives ! Il me manquait encore une heure ou deux à dormir pour tenir la grande forme et je ne pouvais me résoudre à la violence avec ce petit chat débile qui, lui, n’hésitait pas à mordiller mes pieds, à les pincer ou les griffer si jamais j’esquissais le moindre geste. Je décidais de rester calme, j’optais pour le stoïcisme et la patience, le pardon zen, le flegme. Il s’arrêterait, vaincu par mon tact et mon indifférence. Il reprit de plus belle. Si je le repoussais de ma main, c’est à ma main qu’il s’attaquait. Je retirais les couvertures afin qu’il s’imagine bien, qu’il conçoive que mes membres n’étaient pas des pelotes de laine. Et n’acquiesçant plus nul mouvement, il se calma un peu. L’intelligence est animale. Ce matin là était torride. J’eus envie de me gratter les couilles, ce que je fis et comme je retirai ma main de mon entrejambe, le chat bondit pour entreprendre cette drôle de chose qui bougeait. Son saut manqua ma main et se figea ailleurs. Il planta ses griffes dans mes couilles qu’il lacéra de petits traits bien parallèles. Le chat de Carla avait griffé mes couilles ! Le petit salop ! Il s’était enfin attaqué au bon endroit et recula quand je lançai un inaudible ouille, avec un sale regard de petit couillon. Carla ne se réveillait toujours pas, quant à moi, il était inutile que je songe à me rendormir. Le chat avait raté sa mutilation, mais j’allais me venger avec ses propres armes, l’hypocrisie, la mauvaise foi, le jeu.

    Sa caisse se trouvait dans la salle de bain, je m’y rendis, à poil et vaporeux, je m’accroupis au-dessus d’elle et chiais un bon coup. Zoé me jugeait avec des yeux allumés, j’avais chié dans sa caisse. Ce chat avait un nom femelle et j’avais chié dans sa caisse ! Je me torchai, me rendis dans la chambre, m’habillai en silence, embrassai Carla puis pris le métro direction Belleville. Un ami exposait ses peintures. Il y aurait de nouvelles aventures. Carla et Zoé, je ne les revis jamais. De toute façon, je ne supporte pas les couples. 




Extrait de Encore à l'Ouest, recueil de nouvelles d'Hervé Quideau 
paru aux éditions De La Chair