Paris,
avril 1983
Rappo
vient de se barrer. Il sort toujours deux cent noms propres à la
seconde et là, était d’une abjecte tristesse. Et moi, je suis là
avec mon habituelle façon de quémander et lui :
– Ce
vieux bourgogne, bien que légèrement madérisé, ne renarde pas.
Toujours
la molle dérive tristounette avec le Poussin et la lente escalade
dans le vice avec Olga.
Je
suis retourné chez Christine pour qu’elle corrige mon texte avant
livraison.
Être
jugé, cette possibilité, me déprime. Rappo, sur le Yu-Yeung
Tchine, m’a fait un compliment. C'était léger,
m’a-t-il dit.
Il
faut que je m’endurcisse. Parfois, j’ai comme un ulcère à
l’estomac.
Toujours
en quête du bon rythme, de branlette et de bonheur.
Et
Sarah qui est venue me faire son show criseux…
Platon
sur Héraclite – Plus de distinction entre veille et songe, entre
perception de l’homme et du pourceau, entre juste et injuste, bien
et mal, si l’on admet que rien n’existe et que tout devient, que
l’être est identique au devenir.
Tondre,
frustrer, rafler.
J’ai
beau me souvenir de la remarque d’Antonella – faite au début de
ma relation avec Sarah – comme quoi passé le moment de séduction,
je suis à chaque fois déçu par ma partenaire. J’ai beau l’avoir
vécu 15 fois : l'anxiété, la conquête, le sentiment des
possibles, je ne me sens quand même pas aussi bien… Conneries !
Je
lui fais le plan : pour me montrer que tu m’aimes ;
pourrais-tu être moins passive ?
Ai-je
envie d’avoir une femme pour pouvoir la tromper ? J’aimerai
pouvoir effacer Anne-Pia et Sarah de ma mémoire.
Lourd
encore… Et puis, tout est à venir. Mais à quoi cela sert-il de le
savoir ?
Le
rat est fasciné par le singe (Sarah, Emma, Catherine).
Superbe
longue causerie avec Sarah qu’elle conclut par un « je
t’adore ».
C.
F. (Coercitus feci).
On
fait l’amour, et non de dieu, bien ! Et elle me dit murmure :
je t’aime, je t’aime, je t’aime. Et avant de m’endormir, tout
en grommelant, basta avec la guimauve, je prend la décision de lui
être fidèle.
Tous
les soirs, je l’attends. T’es niqué, mon vieux…
Au
début, c’était une plaisanterie mais maintenant, cela commençait
à devenir sérieux. Je suis tellement bien quand elle est là que je
commence à avoir la trouille. Et si je devenais gaga ?
On
est mort de rire toute la journée, souvent bourrés, ne dormant
quasi plus. Hier, j’ai du dire trois milles fois : je t’adore.
Peut-être vais-je enfin arriver à penser « ma » femme
et ce serait génial.
Amoureux !
c’est incroyable.
Tout
est au point mort. Je me sens toujours aussi bien avec Catherine. Je
suis saoul tous les soirs. Je ne fous rien. Je n’ai aucune nouvelle
d’Otto ou de Pajak. Mon rêve de revue reste voir d’en rester un.
Cinquième mois de mon congé étatique. À part un malaise
persistant sur la thune, je me sens exceptionnellement bien.
J’ai
toujours avec moi un script de rechange.
Une
volonté de défaire.
L’étiquette
« poète maudit » est aussi pratique qu’un imperméable,
disait Khlebnikov.
Phrase
brève, mots simples, durs, langue orale, laconisme, sang froid,
indifférence.
Je
crois que c’est Ok. Elle comprend tout et a du tempérament. Nos
genoux s’adorent. Je me suis déclaré après avoir bu plusieurs
verres d’alcools différents.
– Tu
crois que dans huit jours, dans six mois, quand je ne suis pas là,
lui demandai-je inlassablement ?
Ce
matin, je suis heureux, cassé, foutu. J’ai mal, plus de force,
même pas celle de gerber. à part, l’épisode Youri, j’ai tout
raconté.
Essentiellement
ma femme. Elle s’est endormie. Je la serrais à l’étouffer.
Elle m’a envoyé une grande ruade dans les jambes. J’arrête.
Suffit ! On s’est assez occupé de moi. Maintenant, nous
allons nous occuper d’elle. Je criais :
–
J’en ai marre, j’en ai
marre, j’en ai marre.
Je
ne dors plus, ne lis plus, n’écris plus. Je ne fais que penser à
elle. Je devais craquer ! C’est fait. Ce qui est marrant,
c’est que j’en suis littéralement malade, physiquement donc
s’entend. Ma femme va pouvoir expérimenter la validité de
mes promesses. La litanie de mes sarcasmes. Je répète :
–
Moi, je suis vieux et toi,
tu es une petite chanceuse.
Aucune
nouvelle d’Otto ni de Pajak.
Reçu
par la poste un très beau programme bruxellois sur les films de
Goël.
Je
ne suis pas de ma race : je tiens mal l’alcool.
Refuser
toutes les normes, n’est-ce pas les accepter toutes ?
Quelle
est la fonction de la norme ?
On
peut se perdre dans l’extermination des métaphores.
L’absence
de détail déstructure le flot des imprécations.
Ce
qui est réellement présent ne peut survivre que par une répétition
monotone, obsessionnelle, ruminative, inconsciente de son lent
renouvellement quasi organique.
Ce
n’est sans doute pas si nul ni si ridicule que ça, la dignité.
Pourquoi
ça marche ? Ça me dépasse. Je n’ai pas envie d’être
fidèle, je n’y pense pas, je suis fidèle.
Avec
ce que je pense être une grande sincérité, elle m’a dit oui
à tout.
Elle
dort, je me sens euphorique : je suis seul et elle est là.
J’ai
encore des efforts à faire. Ne jamais douter d’elle et cesser de
m’économiser.
À
cause d’elle, je n’arrive plus à dormir et ça, elle ne le sait
pas.
Je
vais enfin pouvoir sortir de cette bizarre gentillesse dans
laquelle j’étais en train de m’enfoncer.
Elle
comprend tout.
Le
suprême bien, c’est qu’elle me réconcilie avec le vagin.
J’éprouve des jouissances incroyables et ceci simplement dès que
je la pénètre.
La
dernière fois que j’ai dit « je t’aime », c’était
à Sarah et pendant quasi toute la dernière année passée avec
elle, je lui répétais pratiquement à chaque fois que nous nous
voyions mais toujours en ajoutant et je vais te tuer.
–
Celui-là, je vais le tuer.
–
Vous voulez tuer tout le
monde ce soir, mon petit agneau. Et la fille, vous l’avez fait
pleurer.
–
D’accord, c’est
ridicule, bien-sûr que je ne veux tuer personne…
En
ce moment, je suis souvent ému et ce qui m’émeut m’ouvre aux
autres, je donne, c’est agréable mais qu’est-ce qui fait que
derrière tout ça, je sois mort de trouille ?
Le
râle à gorge blanche.
Combien
de fois n’ai-je pas été saoul de provocations et de moi-même ?!
La pratique de l’injure. Franchise légendaire. J’ai monopolisé
le vin sous mes pieds. Qui ? Qui ? On veut des noms. On
veut des noms.
Bizarre
ce stress. Que peut-il bien sortir de la fatigue ? A croire
qu’il n’y a que le tout ou rien. L’obsession du sens me
compresse. À chaque instant d’abandon, le rêve éveillé se
pointe et me débilite. Sans ostracisme aucun, ma théorie de la
superficialité a vécu, bien vécu.
Mon
fanatisme ? La condensation et les yeux ludiques du myope.
Décentrement,
mon amour, tu es vertige.
Le
beau texte grave de la lassitude est ce qui leste si ne fonde…
Ni
science, ni humeur, ce n’est pas que la carne soit mauvaise mais ce
qu’il n’en reste plus.
D’être
faible, je fus toujours fort.
Il
faut en finir avec tout ce qui est guindé.
Tolérance,
estime, et par-dessus tout, indifférence, seront eux aussi objet
d’envie.
Je
dois m’auto-violer jusqu’à l’extrême de toutes les
intensités. Pour les assis, je suis couché et pour les couchés, je
suis debout. C’est d’un inconfortable…
Ah,
devenir sans morgue, délivré et surtout, imaginatif.
Cette
fois-ci, ça y est, je suis vraiment vieux. Coup de veine pour la
petite chanceuse. J’ai envie d’avoir des enfants, trois filles,
rien que pour pouvoir leur faire des scènes de jalousie. J’ai
aussi envie de vieillir avec quelqu’un. Faut reconnaître que je ne
prends pas beaucoup de risque en écrivant cela parce que seul et
torturé, si cela arrive, je me donnerai à ce qui reste à faire.
Ah, les mots !
Et
si j’étais en train de devenir réellement dingue ?
Elle
fait Souchon et moi, Adjani. elle est partie en Algérie pour 4
jours. J’ai une bonne crève coupe-désir, crampes au ventre, mal
au dos, cils crouteux, nez coulant. Y'a de la joie ! La pêche
que j’ai !!! Demain rencard pour faire de la figuration. Une
fille est passée au Bleu-Nuit. Même endroit avec Yoyotte et
Catherine, une fille me dit s’appeler Yasmina et je me fous
à chialer.
Je
suis traversé de frissons atroces.
Le
sexe, elle et moi, c’est l’Eldorado. Là, elle gomme. Hier,
accroupie sur moi. On se roule là-dedans. Et ça va être plus que
tout ce que j’imagine.
J’ai
même mal aux oreilles, pas dedans, aux oreilles !
Ça
baigne.
Je
n’arrive plus à cacher mon âme. Je nage en pleine agressivité
douce. Dommage que cela soit si pénible pour le corps. Je n’ai pas
débourré depuis un mois. Je sens tout. J’ai un troisième œil
qui fonctionne à plein. Hier, appuyé contre la paroi, entre Katynka
et Madeleine – elles parlaient suédois – les yeux fermés, je
planais. Chez Mme Suzanne, j’hurle : – il y a de plus en
plus de pédés dans ce bistrot !
Personne
ne me frappe. Ai-je la baraka ? Une suédoise, petite et grosse,
me fait des avances. La tête toute à Catherine, je l’ignore. Je
jacte comme une mitrailleuse.
Loïc :
– tu deviens fou ?
Moi :
– oui, et alors ? Ça te regarde ? C’est moi ou toi qui
devient fou ?
Je
passe de la morve joyeuse à la tendresse.
Je
demande à William de ne pas me mentir. Et il est midi et je suis de
nouveau là, à ne rien pour faire.
Vertige,
vertige, vertige.
J’arrête
de boire ! Cette fois-ci, c’est décidé, j’arrête de
boire.
Encore
deux, trois bières, et je vous construirai des situations, mais des
situations, comment vous vous dire, des situations…
Il
faudrait quand même que je m’autorise à dire quelque chose quand
je parle, bon, ceci dit, comme je parle tout le temps, cela risque de
ne pas être très pratique.
Ce
qui est sûr, c’est que pour l’emporter alors qu’on ne profère
jamais que de vagues généralités, il faut une grande capacité à
mimer la conviction. Je mime aussi l’assentiment de mon
interlocuteur… Je suis un être essentiellement verbal et c’est
une chose étrange que cette double articulation,
signifiant/signifié.
Paumé ?
Et comment !
Vu
mon goût constant pour les rades pourris, j’aurai dû être
journaliste.
J’aime
surtout la curiosité pour elle-même, les clichés et les anecdotes.
Ma
jolie petite frimousse va t’elle disparaître dans la masse informe
que devient mon corps ?
Presque
tous les indécis, les inquiets et les anxieux savent que je suis
toujours là pour eux. Le « presque », c’est l’effet
Macintosh.
Saoul,
j’arrive à me brûler le sexe avec une cigarette ! Et de plus
en plus souvent, je parle tout seul.
Hier,
j’ai fait de la figuration dans une connerie de Claude Berri qui va
s’appeler Tchao Pantin.
j’ai vu travailler Nuytten !
J’attend
Catherine et c’est tout.
Hier,
j’ai agressé cinq mecs sympas donc cela venait de moi. Marrant ce
deal : plus de corps mais un monstre supplément d’âme.
Olga
m’a laissé un fort volume de Zweig chez M. et Mme Philippe. Ça me
touche beaucoup.
Comme
un friselis de tristesse. Tout va bien, tout est calme et c’est
difficile pour moi. Pour que ça baigne, c’est moche mais il me
faut l’hystérie, les cuites, les excès.
J’ai
beaucoup d’amitié pour M. Philippe qui a plus ou moins 70 ans et
je crois que c’est réciproque. Nous nous aimons…
Le
sexe avec Catherine reste divin. On s’encastre l’un dans l’autre
à merveille.
Hier,
j’ai dit à Rappo : – épouse Laurence. Tu la feras baiser
par votre chauffeur.
Bon,
bon, faut que j’arrête tout : les cuites, l’hystérie, les
cris.
Coups
de règle. Tu m’apporteras la ceinture ? oui, oui…
Je
ne contrôle plus rien, j’hurle, j’ai des trous de mémoire, je
gémis.
Faut
que je retourne à mes chères études. Que je sois sobre,
auto-discipliné et d’une profonde indifférence enjouée.
Yves Tenret