Rue
des Archives, Paris, mars 1983
Passage
de solange. Conneries contre l’écriture, sur la vie première.
Sont gonflés tous avec leur idéologie vitaliste. Je me répète
irresponsable, fils, bâtard. Elle : Je veux vivre avec toi. Je
ne renoncerai pas. Je donne tout. Moi : je ne veux vivre avec
personne.
Elle
me traite de faux-jeton. Ça m’ébranle. Je doute. Je ne sais plus.
Moi : laisse tomber. J’ai l’impression de t’utiliser. Je
n’aime pas ça.
Elle
acquiesce. J’ai mal.
Je
veux être simple. Je n’y arrive pas. Je cherche une esthétique
qui me serait une éthique. J’ai peut-être besoin non pas d’écrire
mais de méditer ? Al Martin m’agace. Il fait semblant
d’écouter. Et moi, je n’ai strictement rien écouté de ce que
Solange m’a dit. Elle ne m’est rien. Je suis le pire des
écouteurs.
Elle
disait : le passage à la fin du Bram van Velde te montrait
vulnérable. Ce que tu ne laisses jamais apercevoir. Je ne crois pas
à l’écriture comme analyse.
Le
passage en question : « Oui, je sais. Oui, je m’en
excuse. Oui, nos modesties se confondent. Oui, je tâtonne. Oui, je
m’évertue. Oui, à l’empoignade ! Oui, oui et oui !
Qui dira ma faim de créer ? »
Et
avec intensité, elle relève aussi : « Le nom qui peut
être nommé n’est pas le Nom ».
Je me
sens con, gentil et je sais que c’est une impasse. Elle, elle roule
des mécaniques sur la « dignité ».
Brigitte
parlant de mes nerfs ou de mon emploi du temps dit : ton
travail…
Jamais,
elle ne me lit. c’est génial !
Grâce
à Jean, l’Oiseau bariolé, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, est
un endroit où les gens se sentent à l’aise.
Le
wake up, stand up écouté à fond au réveil, stand
up for your right/don’t give up the fight,
en me laissant supposer la possibilité d’un monde meilleur, me
fout le blues et la honte d’en être toujours là où j’en suis.
Je continue à reposer sur rien. Et cela revient me hanter
régulièrement.
Dans
l’escalier, je crache. Une porte s’ouvre. Un mec en peignoir. Ok,
ok. Je nettoie.
Je
dois aller chercher le poussin (Brigitte) pour aller à
marne-la-vallée et, j’ignore pourquoi, elle n’est pas venue
hier. Cette semaine dans le Sud doit avoir lieu.
Katja
est rentrée du Danemark. d’après Yvon, elle m’en veut. elle me
pense mythomane. et ton cimetière, nomade !
Moni
a lu le Yu-Yeung
Tchine
comme un texte « risqué ». Le terme doit être à la
mode…
Pourquoi
me priver d’une présence qui n’empêche, et loin de là, aucun
possible, tout en donnant souffle à un quotidien paisible ? Au
nom de quelle pureté hystérique ?
Marquer
ce matin comme tant d’autres. Pas de femme, pas de rêve de gloire
facile. Rien que l’essentiel : le travail.
Bourré
et heureux. soirée Otto-Cyroulnik. Pour eux, mon texte est ok. Et
Moni-Ferry, samedi.
Bord
de néon.
À
l’exception
des enseignes, toute publicité est désormais interdite autour des
monuments historiques, des sites classés, dans les secteurs
sauvegardés, sur les quais de la Seine et les berges des canaux,
dans les espaces verts et les stades scolaires.
- Ai-
je des idées visuelles ?
-
Faire image. Récurrences unitaires : plutôt images que récit.
La neige sur des rails…
-
Variations rapides des échelles. Le Dernier combat. La cour
désaffectée.
Noir.
On entend Ay
Carmela
joué à la trompette. Petit à petit, assis sur une chaise et
rappelant une tête de mort sur un drapeau de corsaire, apparaît
Step. Pano. Un mur de liège, des photos épinglées. Générique.
Pano. Steph arrête le disque. Pano. Le pendu. Il semble sourire.
Step ouvre des tiroirs. Il trouve un walkman, des cassettes, remplit
ses poches. Il sort. Il marche dans des rues. Il met un casque sur
ses oreilles, branche le walkman. Wagner… Il fredonne.
Un
yoyotte potentiel, ça fait trois douzièmes. Otto me traite d’agité.
Je le suis. Dois-je en avoir honte ? Je maudis Martin. Cesser de
le voir. J’ai envie d’être où je suis, j’aime les rapports
brefs et marquants, je pourrais même m’en tenir à ceux-là.
Otto
me dit : Ricur n’est pas hostile à l’idée d’un
entretien. Ça, cette façon ramassée de causer, c’est tout-à-fait
nous : pudeur anxieuse.
À
Montpellier, elle : je suis insubmersible et en tout cas, ce
n’est pas toi qui va me couler.
Excellente
nouvelle.
Nice.
Je bougonne, je grommèle, je suis tout en aigreur bien tempérée.
C’est pas le bon truc. Faut que je me l’interdise. S’agit-il de
conneries faites dans mes vies antérieures ? Et toujours la
précipitation, le blocage, l’avidité. Alors paye !
La
sonnerie, l’alarme d’une bijouterie, se met en marche. Je ne veux
pas me réveiller. Défilent les douze raisons de désespérer. Assis
ailleurs, je connais l’évidence. Il n’y a plus qu’une seule
source de joie : la puissance de mon esprit. Rien ne viendra
d’autre part. C’est de là que je peux tirer la souveraine
sérénité du Précis
de morale dialectique,
la noirceur et l’équilibre de Bord
de néon.
Simultanément analytique et synthétique : puissance !
Envoûter par l’ironie mystérieuse de ce récit. Je dois faire ce
film car là je vais me rassembler, sortir de cet émiettement de
petit préfacier qui ne m’est que frustration. C’est mon seul
projet pensable et valable.
À
deux kilomètres de là, le général Jaruzelski vient de terminer un
bref discours devant le cortège officiel. Il a dénoncé la
politique américaine, parlé de la lutte pour la paix…
Les
manifestants se retrouvent bientôt à flanc de coteau, foulant sous
le soleil l’herbe fraîche, et riant de l’invraisemblance de la
situation. Ils ne sont pas le moins du monde intimidés, ni par
quelques brèves et dures charges, ni par les mouvements des
transporteurs de troupes, ni même par l’opération de la police
montée qui, clou du spectacle, se fait maintenant prendre à parti
par les haut-parleurs de la milice. « Fonctionnaires
à cheval, putain ! Contrôlez le terrain, agissez plus
énergiquement ! »
Les manifestants impavides admirent les chevaux, les cavaliers en
visière de plexiglas, eux restent de marbre devant les injonctions
qui leur sont faites. Ils se penchent aimablement pour indiquer la
station d’autobus la plus proche. Il y a dans leur regard et leur
voix, comme une demande muette : « Partez,
évitez-nous de devoir entendre cet ordre. »
Khlebnikov
– agglutination – un mot – trois images.
Eisenstein
– montage trois images – une idée.
Existe-t-il
des images à double sens comme il existe des mots à double sens ?
La
surimpression, une métaphore ?
Une
image peut-elle se décomposer en abstrait/concret ?
« La
perception simultanée du symbole et de la réalité augmente la
puissance poétique de l’image ».
À
quoi sert ou comment se servir d’un fondu enchaîné, d’un
accéléré, d’un ralenti, d’un travelling, d’un panoramique ?
Le
rectangle de l’écran : insularité.
Comment
faire pour que le début en soit un tout en ne racontant pas tout du
premier coup ?
« …Ce
chauffeur de taxi qui, cercle par cercle, explorait l’enfer, se
chargeant des péchés de chacun pour enfin se transformer en ange
exterminateur. »
Plus
c’est local, plus c’est un universel. Exemple type de la phrase
qui ne veut rien dire.
Trouver
et utiliser la Trame mythique.
Avril
1983
Paris.
Nuit Blanche. Mon lot de consolation vient de se barrer. Je tourne à
la minette avec mes oui, non, oui, non…
Lettre
de Pajak. J’ai 15 jours pour lui envoyer le Précis
de morale dialectique.
Lettre de mon grand-père : souvenir d’enfance de ma
grand-mère, mon oncle a un cancer au cerveau, ma mère s’est
recollée avec l’arménien.
Ma
vitalité n’a plus qu’une seule ressource : s’auto
contempler et se relancer par la puissance de l’Esprit. Je danse
avec moi-même.
Rappo,
qui s’était annoncé, n’est pas venu. D’avoir trop parlé à
Yu-Yeung, je me sens mal. Cependant, que faire ? Elle semble
attendre autre chose de moi que de partager son
silence.
Joëlle est là, dans ma piaule. Sarah, cette après-midi, était
très belle. Martin toujours défait.
Je
suis mal, mal, mal. Jori est revenue. Elle était ce soir chez Mme
Suzanne. Pas de raison que je me sente mal à cause de ça. Je ne
l’aime pas. Elle est moche, gonflée et je me sens mal. Elle est ma
transcendance, mon envie, je veux la rendre heureuse. Elle a un sens
pratique, me dit-elle, qui lui fait éviter les ennuis genre
attachements affectifs. Elle me désigne d’un « monument »,
lourde allusion à ma présence chez Mme Suzanne. Je suis maladroit,
dur, tendu. Je m’enfonce. Elle m’enfonce. Salope ! Je ne
comprends pas. Je sais que c’est du baratin, une histoire que je me
suis raconté, et pourtant, elle efface tout le reste… Elle est un
possible, possible. Est-ce parce que je l’ai à peine consommée ?
Je ne peux ni la regarder ni ne pas la dévorer des yeux. Demain,
elle viendra peut-être me voir ? Elle viendra ! Elle
viendra !
…à
Alger, jette par les fenêtres des milliers de dossiers, les machines
à écrire – l’une d’elles tombe sur la tête d’un des C.R.S.
acculés en bas contre le mur – et même les meubles. Léger
intervient cependant : « J’admets que nous avons un
gouvernement de pourris et d’incapables, mais ce n’est pas une
raison pour foutre le mobilier par les fenêtres. Un gouvernement, ça
se change, des meubles ça se paye avec l’argent des contribuables.
Vous êtes une bande de petits cons. Disparaissez ! »
Quartier
sans incitation à la consommation. Économie villageoise.
Le
type de récit par touches successives du Monde
d’Apu.
Le
speed de All
that jazz
sort du marginal tout en sonnant vrai.
Taxi
driver :
il est au centre. Les plans détaillant le taxi. Pas de construction
au niveau du temps du film et des focales utilisées. La fille et le
maquereau – on ne voit pas le chauffeur – scène qui vient comme
ça : je t’explique. Tous leurs récits enchevêtrés sont
linéaires. En voix off, le journal intime du chauffeur : mots
simples, diction lente. Aucun travail narratif sur l’échelle des
plans, sur par exemple les gros plans de visage. Ou, sont-ils soumis
à la narration ? (dans Le
Dernier Combat
ni zoom ni gros plan ?) Les raccords : musique. Les plans
de rues s’intègrent superbement bien à la fiction – vision du
chauffeur.
Bord
de néon :
la vision d’un marcheur…
Faire
une intro sur la littérature moderne et les arts plastiques au
cinéma. Conrad…
L’idée
centrale : un village. Pas d’incitation à la consommation.
Des greffes de provinciaux et d’étrangers. Tissu superficiel, une
approche en surface de l’architecture.
Pas
un point de vue dogmatique mais un point de vue quand même.
Un
écrivain qui méprise Step le glandeur. Un peintre qui plaque sur sa
porte : « Al Martin, peintre à la cour ». Lui
amical et paternaliste avec Step.
Un
système, dans chaque plan, tant d’inserts. Tout les tant : un
champ/contre-champ.
Bernadette,
pervenche star.
Step,
dans sa chambre, se rêve pop star, ou encore, viril, mais il a peur
d’un doberman et s’excuse auprès d’un poteau qu’il vient de
heurter…
Tendre,
acidulé.
Elle
répète plusieurs fois : ta carte très bien. J’avance :
une lettre ? Non, deux, dit-elle. Faut-il insister ? Je ne
sais pas ce que j’en pense, ce que je vis, je ne suis pas bien du
tout. Jori, Jori, Jori…
Bon,
j’ai dessaoulé. Il n’y a plus rien qu’un corps détraqué.
Elle est partie quinze jours à New-York. Une envie : aller à
Oslo, m’asseoir à ses pieds et rester là sans plus jamais bouger.
Bizarre…
Je
suis vraiment tissé tout d’une pièce. l’Oiseau a fait l’une
de ses interventions médiocres, mesquines et curieuses en me
demandant devant Jori si le poussin était amoureuse de moi. Et je ne
comprends pourquoi il l’a fait. Gombrowicz et autres, une
compréhension profonde, me restent donc interdits. Je ne peux que
brailler, brailler et brailler…
Et
Sophie qui passe pour la première fois depuis une année. Mes
insupportables intuitions c’est-à-dire le poussin chassé pour
trois jours.
C’est
ça aussi le village, un chez soi, toute ces visites.
Je
ne crois pas être un type gonflé. Sur Sculptures,
trop âpre, fausses indignations. Et le Précis
de morale dialectique
est superficiel. M’accrocher à mon banc de rameur.
Nuit
de cauchemar. Dépenses inconsidérées. Concombres, bouteille de
coca et heineken. Mines douces à une nouvelle arrivée un peu
potelée.
Je me
réveille et me dresse sur mon saillant : des hommes ! Des
hommes nus me poursuivent pour me violer. Je me rendors, je veux
connaître la suite ! C'est sur un projet de deux sodomies et
d’un placement plus avantageux que j’avais fermé les yeux.
L’après-midi
me sens vivant et misérable. Ce n’est pas le moment de jouer
perdant. La force s’alimente de sa propre dépense. Ce qui doit
être fait sera fait.
Qu’elle
soit publiée ou non, bien admettre que cette version du Précis
ne peut être qu’un brouillon.
Le
poussin couchée et vue de dos, cul nu. Nous venons de la sodomiser.
La pièce est grande, ensoleillée. J’ai pris une douche. Parfois,
le confort, c’est vraiment bien. Je ronronne. Il fait chaud, je
bois du thé citron, c’est bien. Bien !
J’ai
des envies de voyage. Souvent. J’étouffe ici. C’est trop doux,
trop facile, il ne se passe rien. Je ne veux pas retourner où je
suis déjà allé. Il me faut du neuf. New-York ?
Par
deux fois, en sortant du cinéma, j’ai mal au cœur, une violente
nausée, à cause du Précis
de morale dialectique.
Ce n’est pas ça, pas ça du tout. Si Pajak le refuse, je dois
l’accepter. Cela me rendrait service. Je perd mon temps. C’est
une histoire que je veux raconter. C’est déjà mon quatrième mois
de chômeur et rien d’important ne s’est fait. Et si je me
trompais complètement ?
Si
je le veux, ce peut être un acte méritoire que de me haïr ou de
m’aimer. Je devrais faire ceci (le Précis)
et le reste pour préserver les nuits avec le poussin, notre douce
dérive et nos empoignades bientôt sauvages. En fait, je fais ceci
et le reste pour être seul, sobre, saint.
Un
art impérial de la conversation : savoir interrompre l’autre.
Éternelle
vivacité soulante. Tensions. Je lutte depuis deux cent virgules :
c’est inerte et je le subis.
C’est
toujours malgré moi que je dis le vrai.
Passer
du temps à bavarder rajeuni peuples et individus.
On
interroge Mr Robinet. Il répond :
- Je
ne sais pas. Je ne suis pas le patron.
L’idée
de l’idée vaut ce que vaut la première idée.
Je
suis assis devant la table. Sous l’évier, il y a deux bouteilles
de whisky. Je ferme les yeux, serre les poing et cherche à me télé
transporter à demain matin.
Le
dernier cri du vandalisme : couvrir ses propres productions de
graffitis.
Il
n’y a pas à sortir de là. Tant que je n’aurai pas raconté une
histoire qui sera à elle même son propre moyen de transport, je ne
me sentirai pas bien.
Je
viens de relire Nous
n’avons rien à perdre
n°2. Pourquoi tout ce que j’écris est-il tellement nul ? Le
Précis
de morale dialectique est
mon premier texte qui ne soit pas fait que de citations.
Il
faut travailler, travailler, travailler.
Je
reviens de chez Mme Suzanne. Un blues à hurler. Comment finit-on
comme un raté ? Mon style « minimum de compromis »
a-t-il atteint ses limites ? À moyen terme, il faut que je
mette tout ce dont je dispose dans mes travaux.
Le
poussin est dans le lit et cette chaleur m’est douce.
Sarah
très belle, les joues pointues, l’œil net, la peau olive, me
traite d’égoïste.
C’est
dément : d’après Rubin, si j’ai bien compris, Katja aurait
fait la pute à Toronto.
Vie
inconsistante en non-lieu.
Descendre
est infini.
Poupée,
j’en ai marre de devoir toujours faire les questions et
les
réponses.
Transe,
promiscuité brève, hachée, barbouillée de brusquerie.
Je
yoyotte dans une apathie humblement hargneuse.
J’ai
été longtemps sobre. Je ne le suis plus.
Étant
sans ambition, je suis dans des refus qui tournent à vide.
Ma
litanie de bonnes résolutions m’épuise et chaque jour, je me
réveille inchangé.
Yves
Tenret