vendredi 31 octobre 2014

Quand j'étais nymphomane



        Vers 15, 16 ans, après avoir passé tout mon adolescence dans la peau d'une obèse se fourrant dans la bouche tout ce qui lui passait sous les yeux de sucré et de gras, alors dotée d'une confiance en moi en déficit abyssal, j'en étais arrivée à penser que le seul moyen pour moi de découvrir ce qu'était un homme, ce serait d'être la proie hasardeuse d'un violeur égaré. Qu'il soit vieux, édenté, fermier et tueur en série, peu m'importait, mon besoin se faisait de plus en plus impérieux.

    J'avais à cette époque une peur bleue de la faim dans le monde, de la déforestation et l'idée de nouvelles guerres, qu'elles soient nucléaires ou inter-ethniques et sur un autre continent, me pétrifiait parce que je ne voulais pas disparaître avant d'avoir connu ça, le grand ça.

   Le premier c'était un lycéen italien venu pour un échange linguistique ; je faisais de l'allemand et du russe mais j'ai probablement su me montrer suffisamment exotique et divertissante pour que ce garçon fasse de moi son devoir extra-scolaire. Tartagueule à la récré, il ne savait pas encore bien viser, je m'en suis pris plein la tronche.

    Le deuxième, c'était à l'arrière d'une voiture qui puait la bière, garée dans le parking du magasin d'alimentation du village. On avait rendez-vous à 22H00. À 23h00, j'étais dans mon lit chez mes parents.

    C'est lorsque je les ai quittés que tout s'est emballé. Au bout de deux mois en dehors du domicile parental, j'ai arrêté le décompte.

    Le lundi ça y allait, moyenne d'âge 50 ans, de ceux qui n'ont pas de femmes et pas d'intérieurs propres et qui préfèrent la bienveillante compagnie qu'on peut trouver dans les pmu à la cathodique lumière publique. Le mardi, des plus jeunes, la quarantaine, des nerveux, le mercredi, des lapins de 25-30 ans, surexcités mais manquant cruellement d'endurance. Les jeudis j'étais en pause, sauf dérogation.
    Pour refaire le plein de sous-vêtements propres, désincruster ma peau, me faire un repas chaud.

    Et du vendredi au dimanche, avec éclat, je me mesurais aux autres donzelles de sortie, à l'appétit modéré.
    
   Ni belle de jour, ni reine de la nuit, mais gratis, généreuse et surtout insatiable !


    Et un soir, j'en ai rencontré un dans la queue à la poste ; il m'a mis un tel coup de grisou que ça m'a refroidie jusqu'aux os. Ça va faire douze ans. Douze ans de foutue abstinence. Aujourd'hui, je vis avec 8 chats, tous stérilisés et castrés. 


                                                                                    Maité Kessler