Paris, juin 1983
Drôle
d’histoire. Saoul soir après soir. Mangeant très peu. Ne faisant
rien. Ma femme – jamais vu quelqu’un d’une telle ferme
douceur – revient aujourd’hui.
Pire
qu’immonde, je deviens veule. J’ai craché sur André Laude et
fais fuir Delacroix. Je ne sais que combustionner de cette honte. Et
je pleure, et je ris devant la femme des villes et devant la femme
des champs.
Sont
venu me voir chez Mme Suzanne Yu-Yeung, Pajak, Yoyotte, Snoussi.
Catherine
est-elle capable de passion ?
Mon
hystérie s’accroit. Je ne me supporte plus.
Bord
de néon.
Le
Gros est dans les investissements secondaires.
La
subjectivité limite les possibles. L’œuvre doit être
anti-subjective.
On
s’amuse, on est mort de rire toute la journée. Le ton sinistre du
prolétaire lucide. Step n’est pas lucide. Il joue au Loto.
Nécessité
intérieure : l’égoïsme comme damnation.
Un
récit épique ?
Elle
pleure devant sa porte. Il se réveille couché sur le ventre.
Ajouter un couple pour avoir des disputes à la Raging Bull.
Dutronc sautant au-dessus de la table dans Sauve qui peut la
vie.
Dialogues :
un jeu de clichés, varier les intonations, réemplois, complicité,
familialisme, code, etc.
Conrad :
la violence, lui, il la regarde sans manifester aucune réaction.
Joseph intervient. Step matte de loin. Ce qui fait système : la
violence. Courant alternatif : speed/rêveur. Débile :
biens matériels, honneurs, arrogance, force physique…
Accorder
exactement le même minutage à tous les personnages.
Parfois
le débit de parole de Step est tellement saccadé qu’il est
au-delà de l’audible. Et le Gros est souvent en-deçà de
l’audible mais pour d’autres raisons.
Petits
effondrements : je me ronge, je pétille. Qui est ce Je ?
Ajouter un Moi ?
Idem :
recroquevillé entre canapé et mur, silencieux et un baume : la
musique.
Voyeurisme :
le Gnome.
Speed,
net, répétitif. Répéter mais quoi et où ?
Rendre
par l’image et le son, le brouhaha et les rumeurs de la ville.
Architecture :
unifier ou diversifier ?
Arrêter
de boire ! Pacha, le chien, me confond avec Boujihdhar, le
clodo, et m’accompagne jusque devant ma porte !
Réveille
et l’évidence de la nécessité de resserrer, de faire des choix
entre théorie et pratique et même d’avoir une théorie de la
pratique, de la fiction. aussi, et avec force, la vision de
l’informel du Précis (roman). Cent pour Cent bidon. N’importe
quel moderniste a une théorie ! La phrase de Castelnuovo :
je ne me vois pas utiliser les outils méthodologiques de la
modernité, me hante. Je dois trouver le biais d’un rapport
gratifiant au texte à écrire sur Erró, au Précis de morale
dialectique et à Bord de Néon. Une articulation à la
Baudelaire entre pratique et esthétique de l’expression.
Je
dois penser !
Des
anecdotes comme celle avec le chien, baba speed, Langlois, ne
sont-elles pas trop pittoresques ?
Laisser
les lieux exister pour eux-mêmes. Par exemple, entrer et sortir d’un
endroit sans raison. Caméra à l’épaule ? Paluche ?
Alternance consciente de cadre et de non-cadre ?
Les
plans en plongée, lorsqu’on craint l’arrivée d’un événement,
font peurs.
Pour
le couple : souvent dans l’escalier, derrière une porte, elle
lui prend la main et la pose sur sa gorge, au lit, il l’étrangle.
Les
plans américains ralentissent l’action.
Y
a-t-il un rythme des cadrages dans Un autre été ?
Pas
de pauvre, pas de milieu, pas de sentimentalité, pas de fatalité,
pas de fin.
L’unité
peut-elle être obtenue par récurrence ?
Travailler
des émotions comme éléments matériels. Y a-t-il un cadre
universel, des invariants d’émotions ?
Utiliser
les effets – zoom, gros plan, insert – de façon
anti-dramatique ?
Des
gens simples, un peu poissards et passablement rêveurs.
Autoriser
les regards caméra ?
Comment
utiliser le champ/contre-champ ? Ils parlent, on les voit,
travelling, on les entend mais on ne les voit plus. Ce qui donne la
possibilité de rentabiliser des rushes.
Qu’est-ce
qui me fait rire ? Les clichés légèrement décadrés,
l’ironie, c’est-à-dire se moquer de soi-même et les
plaisanteries provocantes et pince-sans-rire.
Rien
ne prend corps. Nono ne m’a pas répondu. Limérat a refusé mon
texte. L’IAPIF n’a pas accepté que je sois l’auteur du texte
sur leur gros futur catalogue Erró. J’ai 1 000 balles de découvert
à la banque. Je n’ai pas payé mon loyer. Je dois aller chercher
un permis de séjour. Je tape tout le monde. Je suis sans force. Je
bois. Et je me sens très bien. Une force obscure affleure. Je suis
tout bouffi, ma calvitie s’accentue, mon bide pend et les femmes
plongent. Le plus insignifiant de mes sourires m’est rendu. Je suis
odieux, grossier mais enfin vivant.
J’aimerais
avoir des enfants.
Bord
de néon.
Huit
jours de la vie de Step, du Gros, de deux ados, Katia & Jean,
d’Yves, de Sarah, d’Helena et de Mr Philippe. Huit personnages,
huit lieux, huit actions. De l’extérieur vers le centre puis du
centre vers l’extérieur, replis, vie intense, dissolution… Step
est coursier, le Gros fait un chantier de peinture dans un
appartement, Jean est gardien de nuit et Katia, serveuse.
Légère
opacité. Brume d’ennuis insignifiants : pas d’argent, des
démarches administratives pas faites, des refus de texte. Je suis
bouffi et mes yeux s’ouvrent difficilement. Catherine, en
haut-talons, accroupie sur moi, regarde mon sexe et le pelote de son
délicieux petit con bien serré comme il faut.
Comme
un besoin d’écrire qui vient de derrière, qui vient de profond.
Ses
mains sont les plus intelligentes que j’aie rencontrées jusqu’à
présent dans ma vie. Je ne sais pas ce qu’elle pense mais je suis
sûr qu’elle n’acceptera pas, elle, d’être payée en mots.
L’homme est anxieux. Il a son code avec ses mots secrets :
Vampirella, Woppayé, Seccotine, Bijou. Je suis un homme d’habitudes.
Nous suons. C’est agréable. Je me traîne, hébété, cherchant
des yeux des pubis charnus et trempés. Je ne sais pas agir. Je ne
sais que me plaindre sans même savoir plaindre. Austère, je suis
mieux. Il est 3h et déjà, je ne peux rien faire d’autre que
d’attendre 7h pour pouvoir foutre mes pognes dans sa chair.
Martin
me montre un texte qu’il a écrit : trivial, conceptuel,
descriptif, particulier et général. Bonne vue d’ensemble de ce
qui est à éviter. Je lui dis : « J’ai eu honte en
lisant ça et j’ai eu envie de le refaire ». Il encaisse mal…
Augure,
testament, offrande, hommage. Bien voir qu’il s’agit d’éthique.
JE
NE SUIS PAS UN ECRIVAIN.
« Je
suis un décadent à un terrible tournant de l’histoire, incapable
de prendre ce tournant en tant qu’écrivain. Je vis mon Dada
personnel. » A. Trocchi
Me
faire CONTRE Beckett et surtout dans Bord de néon. Le relire
donc.
Toujours
à rebrousse-poil, continuer à m’inventer contre moi-même, à
aller voir où je ne sais pas faire et essayer de le faire quand
même.
A
Nice, j’ai vu un Fragonard, une Tête de Vieillard, un Vernet, un
Hubert Robert à la Gaspard Wolf, un Delacroix et un Jean-Jacques
Henner (1829-1905).
Frontal,
je ne peux être ni littéral, ni pervers, il ne me reste donc comme
issue que le pansexualisme.
Tous
mes très bons textes avaient un contenu communs : la nostalgie.
Styron,
Le Choix de Sophie, bonne leçon, c’est répugnant, dresse
involontairement la liste de tout ce qui fait semblant d’être en
empathie avec son sujet. la corporation, l’Histoire et le
sentimentalisme : de la merde.
Problématique
adulte non marginale, écrire un scénario sur Anthony Blunt. Comment
s’en donner les moyens ?
Tout
est assez génial en ce moment et même parfois ce que je lis comme
cette nouvelle, Mouvement perpétuel de l’écrivain
guatémaltèque, né en 1921 et vivant au Mexique, Augusto
Monterroso.
L’ennui
en touches légères. Maintenant et sûr et certain qu’un mieux est
possible. Recevant une réponse positive pour une publication,
euphorique, je saute deux fois en suivant le Poussin. Aussi utiliser
cela, le planquer pour pouvoir le dilapider plus tard. L’optimisme
n’est pas dynamisme mais pensée creuse, ornière de l’âme. Je
suis, par nature, dans l’ensommeillement. Je ne fonctionne et ne
peux fonctionner qu’au sursaut.
Harcelé
de petites défaites. Miné par l’absence endémique d’argent,
j’en suis d’autant plus incapable de bouger. Je me terre chez
moi. J’attends. Le matin, je tremble. La journée passe et
petit-à-petit, j’oublie. Je suis une machine qui fonctionne à
basse tension.
Rongé
par rien, par cet argent qui ne tombe pas. Je n’ai plus d’oxygène,
j’étouffe. Tout ça est d’un lamentable ! Parfois, je me
fais l’effet d’être un vieux poireau marinant dans une solution
de formole périmée.
Bord
de néon
Rivalités
féminines.
À
la fin, Step ne rit pas, ne pleure pas, ne danse pas mais se lamente
sur ses problèmes.
Braquage
d’Helena, elle pleure mais de rage et avec beaucoup de pudeur tout
en marchant très rapidement.
Chez
Mme Suzanne, l’Otarie exhibe son sexe, cela laisse tout le monde
indifférent et n’interrompt même pas une des discussions en
cours.
Des
ados se coursent en riant très fort dans les rues. pince-sans-rire,
ils sur jouent les « Tu m’énerves » et les « Et
toi donc ».
Step
marmonne tout le temps.
Les
personnages subissent mais n’acceptent rien. Ils sont lucides.
Un
pédé drague de façon insistante Step qui sort un couteau. Le pédé
insiste. Step, vaincu, éclate de rire.
Grande
bouffe et anorexie.
Dans
l’indifférence générale, Yves et Sarah se disputent très
violemment.
Dans
une transitivité métaphorique ouverte, le cinéma peut réaliser
indifféremment tout ce qu’il veut du plus cliché au plus érudit.
Il est démocratique. Il a accès à tous les imaginaires. il peut le
faire verticalement comme avec les boîtes dans New York-New York,
ou horizontalement comme dans un film à sketches sur un sujet donné
avec toujours le même acteur jouant des personnages différents.
Ce
qui est complexe est ce qui n’a pas été compris.
Sarah
vient. Yves : « Sors ! » Elle ne bouge pas. Il
la pousse, elle se couche par terre, il la traîne dehors par les
pieds et se remet à travailler comme s’il ne s’était rien
passé.
Pas
de temps morts mais des temps autres avec des gens marchant dans les
rues…
Un
évènement par plan ? Des récurrences métonymiques ?
Step sort. Le patron du
bistrot coiffe une pseudo calotte. Tout le monde rit grassement.
Juillet
1983
Je
suis paralysé par les assedic qui ne tombent toujours pas. Cela use
le fin tissu de la vie et pousse à la résignation. Dans ma tête
cliquètent sans cesse des mots d’ordre. Ne sors pas. Ne bois pas.
Accepte. Résigne toi.
Méli-mélo
bancaire, lettre recommandée, multiples petits endettements. Il faut
savoir se faire respecter mais de ce côté là, dans ma manche, je
n’ai pour moi que mon rire. Sarah à toujours vouloir enfermer
Catherine dans un rôle de « mère complaisante » se fait
sèchement remettre en place. Toujours l’ego et toujours
insupportable cet ego.
Par
deux fois, accroupie sur moi, de son sexe, elle m’amène à une
jouissance proche de la satiété totale. Elle est là. Elle est là
et être à deux n’est pas bien, moins bien que d’être seul.
Elle est irréprochable. Autour, tout est vieux, laid et satisfait.
J’ai souvent faim. Il fait très chaud. J’aime bien suer. Je me
fais l’effet d’un vide et surtout d’un vide qui est déjà
passé. Je m’expanse et c’est vide. Dernière ressource : la
tête. La satisfaction est la mort de l’esprit.
La
tranquillité me pèse sur les nerfs. Pas de conquête, pas
d’euphorie. Et surtout ma fuite anxieuse cassée nette dans son
élan. Je me retrouve en face de ce que j’ai à faire et cela est
l’exact contraire de mon habituel truc d’irresponsable. Ce serait
un bon moment pour avoir un abcès aux dents…
Bord
de néon
Zimmer :
« Tes arguments ne sont pas dialectiques ».
À
l’Atlas, rue de Buci, les Beurs et la fille qui les sucent aux
chiottes en prenant dix balles par mec !
Step
face au suicide : il argumente, se plaint, marmonne, essaye tout
pour essayer de déculpabiliser, de sortir de ce deuil impossible.
Step
fait la morale au Gnome et cent mètres plus loin fait à son tour ce
pour quoi il vient de le sermonner.
Chaque
personnage a son double, son négatif.
Si
un Renoi braque à un endroit, ailleurs, un autre Renoi partage ce
qu’il a …
Chaque
jour, le premier qu’on voit, en se levant avant tout, regarde le
ciel.
Le
Gnome bave, se touche, écume et agite toujours sa main droite dans
sa poche trouée. Il dit à Yves :
-
Moi, je ne comprends pas ton rapport aux femmes. Moi, je les aime.
-
Et les putes que tu vas voir toutes les semaines ?
-
Elles aussi, je les aime.
Des
points fixes, des choses qui reviennent inexorablement : chacun
d’entre eux à son travail, Rodolphe parlant à quelqu’un qui ne
l’écoute pas, Benji qui boit, etc.
Le
café chez Mme René, rue de Bretagne, à 5 heures du matin.
Les
fissures dans les murs que voit Step et que personne d’autre ne
voit. Son monde est sordide. Chez lui, tout est junk, chaque plan se
fixe. il est speed et tout ça va très vite, comme si c’était un
pickpocket, une boucle d’oreille, une montre (on entend de façon
quasi subliminale : tema le kem, il a une tremon à
pouilldé), une porte, un ticket, une fuite, un graffiti sur une
pub Damart : Moi, travailler ? Avec mon thermolactyl,
jamais !
Image
qui se révèle par un bruit. Un type qui baisse la voix, qui
susurre, qui baratine au téléphone et qu’irrésistiblement tout
le monde écoute. Un rire hors champ. Une conversation à une autre
table, conversation qui envahit tout l’espace de l’image
– volume, excitation, passion. Une dispute répétitive
d’ivrognes.
Les
Narzos causent systématiquement verlan.
Step
commande à bouffer, mange deux bouchées, jette du fric sur la table
et se barre.
Tout
le monde le montre du doigt.
Le
jour, Step parle tout seul, la nuit, il tremble, il a peur et il
marmonne.
La
bière commence à me répugner. La chambre est un four.
Toute
consolation, toute résignation me mine rapidement. J’ai passé la
nuit avec Yoyotte, Rodolphe et Michel. Cela m’a rappelé que mon
quotidien pouvait être parfois autre chose qu’une inepte
collection de conquête frimeuses de poussins ineptes.
Une
légère angoisse constante. Perpétuelle. Remettre l’épreuve, le
silence, la concentration : plus loin, plus loin, plus loin.
Même quand je touche les assedic, un pas-assez et une mémoire du
corps, une interférence de l’avant sur l’après. Une triste
comptabilité en jours. Une stère de feuilles à taper. Une peur de
tout et surtout de glisser à moins bien…
Je
ne m’intéresse plus ni aux femmes ni à la bière donc je me
prépare. Je dois me danser à jeun. C'est mon esprit qui est ma
drogue !
Demain,
j’ai 35 ans et qu’est-ce qui se passe ? Mon grand-père me
fait la gueule et j’ai connu trois échecs en deux mois :
Limérat, Erró et Landsweeir. Tout reste à faire, à refaire et à
défaire encore.
Je
me remets difficilement de ma tentative de suicide ratée :
mélange de six alcools ! Crampes à l’estomac, fièvre. M’en
est revenu l’épaisseur des centaines de nuits passées sans alcool
quand je ne buvais jamais. C’était le speed naturel.
En
ce moment, j’ai une petite vie tranquille. Je termine la dernière
version du Précis (Roman). Je touche de l’argent tous les
mois. J’ai la sexy Catherine à demeure. Je m’ennuie et m’adonne
à mon vice par excellence : la paresse. Je recule à l’infini
le moment d’attaquer le scénario. Je ne quitte le Marais que pour
de très rapides aller-retour dans des cinémas. Vais-je enfin
écrire ?
Je
me suis serré comme le plus vieux zeste de citron que l’on puisse
être à soi-même. Maintenant, c’est : invente ou crève !
Belle
nuit tranquille. Pas une goutte d’alcool et moi, hilare. Gégé
m’euphorise puis Snoussi prend le relais. Je cause avec une Hindoue
divine, Vatcha, jusqu’à 5h30 du matin. Je la dévore des yeux. Je
reste détendu. Je sais que je vais aller dormir avec Bijou. Elle
aussi à parfois des profils qui me donnent de courtes décharges de
plaisir. Seul point noir de la soirée, Dzahir, que de loin j’avais
toujours trouvé bien, me propose de participer à son petit et
sordide commerce. Certains de ces arabes nous méprisent autant
qu’ils se méprisent eux-mêmes en fait.
C’est clair que si je
veux rester moi-même, il va falloir que je change.
Yves Tenret